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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/178

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c’étoit l’autre qui l’avoit attaqué et insulté : on ne savoit donc qui croire, ni que penser. Chacun avoit ses amis, mais personne ne put goûter l’égalité si fort affectée en tous les traitements faits à l’un et à l’autre. Enfin, faute de meilleur éclaircissement et la faute suffisamment expiée, ils sortirent de prison, et peu après reparurent à la cour.

Quelque temps après, une nouvelle escapade mit les choses plus au net. Allant à Versailles, La Vauguyon rencontre un palefrenier de la livrée de M. le Prince, menant un cheval de main tout sellé, allant vers Sèvres et vers Paris. Il arrête, appelle, met pied à terre et demande à qui est le cheval. Le palefrenier répond qu’il est à M. le Prince. La Vauguyon lui dit que M. le Prince ne trouvera pas mauvais qu’il le monte, et saute au même temps dessus. Le palefrenier bien étourdi ne sait que faire à un homme à qui il voit un cordon bleu par-dessus son habit et sortant de son équipage, et le suit. La Vauguyon prend le petit galop jusqu’à la porte de la Conférence, gagne le rempart et va mettre pied à terre à la Bastille, donne pour boire au palefrenier et le congédie. Il monte chez le gouverneur à qui il dit qu’il a eu le malheur de déplaire au roi et qu’il le prie de lui donner une chambre. Le gouverneur bien surpris lui demande à son tour à voir l’ordre du roi, et sur ce qu’il n’en a point, plus étonné encore, résiste à toutes ses prières, et par capitulation le garde chez lui en attendant réponse de Pontchartrain, à qui il écrit par un exprès. Pontchartrain en rend compte au roi, qui ne sait ce que cela veut dire, et l’ordre vient au gouverneur de ne point recevoir La Vauguyon, duquel, malgré cela, il eut encore toutes les peines du monde à se défaire. Ce trait et cette aventure du cheval de M. le Prince firent grand bruit et éclaircirent fort celle de M. de Courtenay. Cependant, le roi fit dire à La Vauguyon qu’il pouvoit reparaître à la cour, et il continua d’y aller comme il faisoit auparavant, mais chacun l’évitoit et on avoit grand-peur de lui, quoique le roi par bonté affectât de le traiter bien.