Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/221

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bourg et au suisse de son hôtel, et que le même jour je m’en irais au village de Longnes, à huit lieues de Paris, où étoit ma compagnie, pour colorer au moins ces lettres d’État de quelque prétexte. Le soir je m’avisai que j’avois oublié un grand bal que Monsieur donnoit à Monseigneur au Palais-Royal, le lendemain au soir jeudi, qui se devoit ouvrir par un branle, où je devois mener la fille de la duchesse de La Ferté qui ne me le pardonneroit point si j’y manquois, et qui étoit une égueulée sans aucun ménagement. J’allai conter cet embarras au duc de La Trémoille, qui se chargea de faire trouver bon aux autres que je ne m’attirasse pas cette colère, de manière que j’étois au bal tandis qu’on signifioit mes lettres d’État.

Le vendredi matin je fus à l’assemblée où tous m’approuvèrent, excepté M. de La Rochefoucauld, qui gronda et que j’apaisai par mon départ, et qui se chargea de le dire au roi et sa cause.

En partant je crus devoir tout faire pour me conserver dans les mesures où je m’étois mis avec M. de Luxembourg. J’écrivis donc dans cet esprit une lettre ostensible à Cavoye, où je mis tout ce qui convenoit à la différence d’âge et d’emplois, sur la peine que j’avois de la nécessité où je m’étois trouvé sur cette signification de lettres d’État. Cavoye étoit le seul des amis les plus particuliers de M. de Luxembourg, qui eût été fort de la connoissance de mon père. Sans esprit, mais avec une belle figure, un grand usage du monde, et mis à la cour par une maîtresse intrigante de mère qui y avoit dans son médiocre état beaucoup d’amis, il s’en étoit fait de considérables, mis très bien auprès du roi et sur un pied de considération à se faire compter fort au-dessus de son état de gentilhomme très-simple, et de grand maréchal des logis de la maison du roi. Il est aisé de comprendre avec combien de dépit M. de Luxembourg vit tous ses projets déconcertés par ces lettres d’État. Il courut au roi en faire, ses plaintes, et n’épargna