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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/267

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dragons à cheval dehors, et le reste attacha ses chevaux à une haie devant la grange où La Bretesche se mit à manger un morceau avec les officiers. Comme ils étoient à table, la lune qui étoit belle s’obscurcit tout d’un coup, et voilà un orage affreux d’éclairs, de tonnerre et de pluie. Aussitôt La Bretesche, craignant quelque surprise par ce mauvais temps, fait monter les dragons à cheval, y monte lui-même, et dans cet instant entend une grosse décharge qui justifie sa précaution ; il donne ses ordres à celui qui commandoit les dragons, et s’en va à son infanterie et la dispose. Il revient tout de suite à ses dragons, n’y en trouve plus que deux ou trois avec un seul capitaine et nuls autres. Au désespoir de cet abandon, il retourne à son infanterie, charge les ennemis, profite de l’obscurité et du désordre ou il les met, les pousse et les chasse du village, quoique trois fois plus forts que lui, et est légèrement blessé au bras et à la cuisse, et parce que le jour alloit poindre, se retire en bon ordre à Eberbourg. En chemin il rencontra une des troupes de dragons qui l’avoient abandonné. Le capitaine qui la menoit eut l’impudence de lui demander s’il vouloit qu’il l’escortât, et s’attira la réponse qu’il méritoit, sur quoi les dragons sa mirent à faire des excuses à La Bretesche, et à rejeter cette infamie sur leurs officiers qui les avoient emmenés malgré eux. De notre camp à Eberbourg, il n’y avoit que trois lieues. La Bretesche, qui étoit fort aimé et estimé, fut fort visité de toute l’armée ; j’y fus des premiers. Il en fut quitte pour y demeurer dix ou douze jours. Il eut la générosité de demander grâce pour ces dragons, et le maréchal de Lorges, naturellement bon et doux, la facilité de la lui accorder.

Il ne faut pas ôter à Marsal, capitaine des guides, l’honneur qui lui est dû : il avoit suivi La Bretesche, ne le quitta jamais d’un pas et fit très-bien son devoir. Il eut depuis une commission de capitaine d’infanterie, et il entendoit fort bien son métier. Il avoit commencé, disoit-on, par être maître de la