Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce respect si attentif combla l’évêque ; il lut et relut le discours, il en fut charmé, mais il ne laissa pas d’y faire quelques corrections pour le style et d’y ajouter quelques traits de sa propre louange. L’abbé revit son ouvrage de retour entre ses mains avec grand plaisir ; mais quand il y trouva les additions de la main de M. de Noyon et ses ratures, il fut comblé à son tour du succès du piège qu’il lui avoit tendu, et d’avoir en main un témoignage de son approbation qui le mettoit à couvert de toute plainte.

Le jour venu de la réception, le lieu fut plus que rempli de tout ce que la cour et la ville avoient de plus distingué. On s’y portoit dans le désir d’en faire sa cour au roi, et dans l’espérance de s’y divertir. M. de Noyon parut avec une nombreuse suite, saluant et remarquant l’illustre et nombreuse compagnie avec une satisfaction qu’il ne dissimula pas, et prononça sa harangue avec sa confiance ordinaire, dont la confusion et le langage remplirent l’attente de l’auditoire. L’abbé de Caumartin répondit d’un air modeste, d’un ton mesuré, et, par de légères inflexions de voix aux endroits les plus ridicules ou les plus marqués au coin du prélat, auroit réveillé l’attention de tout ce qui l’écoutoit, si la malignité publique avoit pu être un moment distraite. Celle de l’abbé, toute brillante d’esprit et d’art, surpassa tout ce qu’on en auroit pu attendre si on avoit prévu la hardiesse de son dessein, dont la surprise ajouta infiniment au plaisir qu’on y prit. L’applaudissement fut donc extrême et général, et chacun, comme de concert, enivroit M. de Noyon de plus en plus, en lui faisant accroire que son discours méritoit tout par lui-même, et que celui de l’abbé n’étoit goûté que parce qu’il avoit su le louer dignement. Le prélat s’en retourna charmé de l’abbé et du public, et ne conçut jamais la moindre défiance.

On peut juger du bruit que fit cette action, et quel put être le personnage de M. de Noyon se louant dans les maisons et par les compagnies et de ce qu’il avoit dit et