Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/280

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répliquer : il exécuta bien la première partie de son ordre, pour l’autre il la suspendit au lendemain, demanda grâce, fit valoir la jeunesse de l’abbé, la tentation de profiter du ridicule du prélat, et surtout la réponse corrigée et augmentée de la main de M. de Noyon, qui, puisqu’il l’avoit examinée de la sorte, n’avoit qu’à se prendre à lui-même de n’y avoir pas aperçu ce que tout le monde avoit cru y voir. Cette dernière raison, habilement maniée par un ministre agréable et de beaucoup d’esprit, fit tomber la lettre de cachet, mais non pas l’indignation. Pontchartrain pour cette fois n’en demandoit pas davantage. Il fit valoir le regret et la douleur de l’abbé, et sa disposition d’aller demander pardon à M. de Noyon, et lui témoigner qu’il n’avoit jamais eu l’intention de lui manquer de respect et de lui déplaire. En effet, il lui fit demander la permission d’aller lui faire cette soumission ; mais l’évêque outré ne la voulut point recevoir, et après avoir éclaté sans mesure contre les Caumartin, s’en alla passer sa honte dans son diocèse, où il demeura longtemps.

Il faut dire tout de suite que, peu après son retour à Paris, il tomba si malade qu’il reçut ses sacrements. Avant de les recevoir, il envoya chercher l’abbé de Caumartin, lui pardonna, l’embrassa, tira de son doigt un beau diamant qu’il le pria de garder et de porter pour l’amour de lui, et quand il fut guéri il fit auprès du roi tout ce qu’il put pour le raccommoder ; il y a travaillé toute sa vie avec chaleur et persévérance, et n’a rien oublié pour le faire évêque, mais ce trait l’avoit radicalement perdu dans l’esprit du roi, et M. de Noyon n’en eut que le bien devant Dieu par cette grande action, et l’honneur devant le monde.

L’orgueil du cardinal de Bouillon donna vers ce même temps une autre sorte de scène. Pour l’entendre il faut dire qu’il y a dans la province d’Auvergne deux terres particulières dont l’une s’appelle le comté d’Auvergne, l’autre le dauphiné d’Auvergne. Le comté a une étendue ordinaire et