Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/279

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dire entièrement. Il tourna longtemps sans pouvoir être entendu par un homme si rempli de soi-même, et si loin d’imaginer qu’il fût possible de s’en moquer ; à la fin pourtant il se fit écouter, et pour l’honneur de l’épiscopat insulté, disoit-il, par un jeune homme, il le pria de n’en pas augmenter la victoire par une plus longue duperie, et de consulter ses vrais amis. M. de Noyon jargonna longtemps avant de se rendre, mais à la fin il ne put se défendre des soupçons, et de remercier l’archevêque avec qui il convint d’en parler au P. de La Chaise qui étoit de ses amis. Il y courut en effet au sortir de l’archevêché. Il dit au P. de La Chaise l’inquiétude qu’il venoit de prendre, et le pria tant de lui parler de bonne foi, que le confesseur, qui de soi étoit bon, et qui balançoit entre laisser M. de Noyon dans cet extrême ridicule, et faire une affaire à l’abbé de Caumartin, ne put enfin se résoudre à tromper un homme qui se fiait à lui, et lui confirma, le plus doucement qu’il put, la vérité que l’archevêque de Paris lui avoit le premier apprise. L’excès de la colère et du dépit succéda à l’excès du ravissement. Dans cet état il retourna chez lui, et alla le lendemain à Versailles, où il fit au roi les plaintes les plus amères de l’abbé de Caumartin, dont il étoit devenu le jouet, et la risée de tout le monde.

Le roi, qui avoit bien voulu se divertir un peu, mais qui vouloit toujours partout un certain ordre et une certaine bienséance, avoit déjà su ce qui s’étoit passé, et l’avoit trouvé fort mauvais. Ces plaintes l’irritèrent d’autant plus qu’il se sentit la cause innocente d’une scène si ridicule et si publique, et que, quoiqu’il aimât à s’amuser des folies de M. de Noyon, il ne laissoit pas d’avoir pour lui de la bonté et de la considération. Il envoya chercher Pontchartrain, et lui commanda de laver rudement la tête à son parent, et de lui expédier une lettre de cachet pour aller se mûrir la cervelle, et apprendre à rire et à parler dans son abbaye de Busay en Bretagne. Pontchartrain n’osa presque