Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/286

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Besançon, il prit un mousquet, devint capitaine de grenadiers et reçut trente-deux blessures, dont plusieurs presque mortelles, à l’attaque de la contrescarpe de Coni sans vouloir quitter prise, et y fut laissé pour mort. Cette action le fit connoître, et lui valut peu après le régiment de la Sarre. Chamarande avoit été premier valet de chambre du roi en survivance de son père qui l’avoit achetée de Beringhen, et en avoit conservé toutes les entrées. Le père étoit de ces sages que tout le monde révéroit pour sa probité à toute épreuve et pour sa modestie. Il avoit vendu sa charge, et le roi, qui l’aimoit et le considéroit fort au-dessus de son état, l’avoit fait premier maître d’hôtel de Mme la Dauphine lors du mariage de Monseigneur. Il fit cette charge au gré de toute la cour et eut toujours la meilleure compagnie à sa table. Son fils eut encore sa survivance. Ayant perdu sa charge avec sa maîtresse, il demeura à la cour et y eut toujours chez lui la plus illustre compagnie, quoiqu’il n’eût plus de table, qu’il fût perclus de goutte, et qu’on ne vît jamais de vivres chez lui. Le roi envoyoit quelquefois savoir de ses nouvelles, car il ne pouvoit plus marcher, et lui faire des amitiés ; et je me souviens qu’il étoit en telle estime que, lorsque mon père me présenta au roi et ensuite à ce qu’il y avoit de plus principal à la cour, il me mena voir Chamarande. Son fils étoit fort joliment fait, discret, sage, respectueux, et fort au gré des dames du meilleur air. Il eut par degrés le régiment de la reine, et se distingua fort à la guerre. M. le Duc, M. le prince de Conti, M. de La Rocheguyon et de Liancourt, MM. de Luxembourg père et fils, et quantité d’autres des plus distingués l’aimoient fort, et vivoient avec lui en confiance et en société. Monseigneur le traitoit fort bien et avec distinction, quoique la difficulté de manger avec lui l’empêchât d’être de ses parties et de ses voyages. Mais le rare avec cela est qu’ayant épousé Mlle d’Anglure, fille du comte de Bourlaymont, unique et riche, et femme d’un vrai mérite, sa naissance aidée de ce