Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/322

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que, parvenu au bâton de maréchal de France, il n’y avoit de bon parti pour lui que de se raccommoder solidement avec le roi par un sacrifice qui lui seroit agréable, et de demeurer à la cour avec une faveur renouvelée, et à l’abri d’un ennemi avec qui il n’auroit plus à compter. Trop rusé courtisan, quoique d’ailleurs fort lourd, pour ne pas sentir l’essor du goût du roi pour les bâtards par tout ce qu’il venoit de faire pour eux, et son peu d’inclination à rien faire pour M. le Duc et M. le prince de Conti, il avisa à se rétablir pleinement dans les bonnes grâces du roi, en flattant son goût pour les uns, et lui ouvrant une porte qui le tireroit d’embarras avec les autres.

Pour cela, il fit confidence de son projet, sous le dernier secret, à M. de Vendôme, non pour se servir de lui, mais pour qu’il lui en sût tout le gré, et par lui M. du Maine ; puis il témoigna au roi qu’ayant été assez malheureux de lui déplaire à la tête d’une armée, qui avoit réussi partout, et dont le fruit des succès lui avoit été enlevé malgré lui, sans qu’il eût pu se justifier sur une chose si certaine, il ne pouvoit se résoudre ni à se voir ôter cette même armée ni à la commander : que le premier seroit un châtiment qui le déshonoreroit, que l’autre l’exposeroit sans cesse aux noirceurs de Barbezieux ; qu’il aimoit mieux y succomber de bonne grâce, mais en secret, et en faire au roi un sacrifice ; que pour cela, il avoit imaginé de se rendre à l’ordinaire en Catalogne, d’y tomber malade en arrivant, de continuer à l’être de plus en plus, d’envoyer un courrier pour demander son retour ; qu’en même temps, il ne voyoit personne à portée de ces frontières plus propre à commander l’armée de Catalogne que M. de Vendôme, qui avoit déjà un corps séparé vers Nice, aux ordres du maréchal Catinat ; et que si cet arrangement convenoit au roi, il pourroit, pour ne perdre point de temps à laisser son armée sans général, emporter des patentes de général de son armée pour M. de Vendôme, et les lui envoyer par un autre courrier en même temps qu’il demanderoit son retour.