Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/323

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Il est impossible d’exprimer le soulagement et la satisfaction avec laquelle cette proposition fut reçue. La jalousie étoit extrême entre le prince de Conti et M. de Vendôme. Le roi, par politique et plus encore par aversion depuis le voyage de Hongrie, ne vouloit point mettre M. le prince de Conti à la tête de ses armées ni aucun autre prince du sang ; cela même le retenoit de faire faire ce grand pas à M. de Vendôme. Son goût pour sa naissance l’en pressoit, et plus encore d’en faire en ce genre le chausse-pied de M. du Maine ; mais le comment, il n’avoit encore pu le trouver sans mettre les princes du sang au désespoir, relever le mérite, à lui, déjà si importun, du prince de Conti, l’amour des armées, de la ville et jusque de la cour, malgré lui, et exciter un cri public d’autant plus fâcheux qu’il seroit plus juste. M. de Noailles l’affranchissoit de tous ces inconvénients : c’étoit un général arrivé à son armée, mais hors d’état de la commander ; nécessité donc de lui en substituer un autre sans délai, et pour cela de le prendre au plus près qu’il étoit possible. M. de Vendôme, une fois général d’armée, ne pouvoit plus servir en autre qualité ; c’étoit donc une affaire finie, et finie par un hasard dont les princes du sang pouvoient être fâchés, mais non offensés ; et ce chausse-pied de M. du Maine une fois établi, c’étoit toujours la moitié de la chose exécutée.

De ce moment, M. de Noailles rentra plus que jamais dans les bonnes grâces du roi. Ce prince fit la confidence à M. de Vendôme, qui obtint en même temps pour le grand prieur, son frère, le commandement de ce corps séparé vers Nice. Le secret demeura impénétrable entre le roi et les ducs de Vendôme et de Noailles, sans que le grand prieur même en sût un mot, ni que Barbezieux en eût le moindre vent. Chacun partit pour sa destination à l’ordinaire, et tout s’exécuta pour la Catalogne comme je viens de l’expliquer. Mais l’exécution même trahit tout le secret. On fut surpris d’apprendre M. de Noailles, à peine arrivé à Perpignan, demander à re-