Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/337

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de marcher par l’engagement dans lequel notre gauche les auroit mis. Impatient de ne point entendre l’effet de cet ordre, il dépêche de nouveau M. du Maine, et redouble cinq ou six fois. M. du Maine voulut d’abord reconnoître, puis se confesser, après mettre son aile en ordre qui y étoit depuis longtemps et qui pétilloit d’entrer en action. Pendant tous ces délais, Vaudemont marchoit le plus diligemment que la précaution le lui pouvoit permettre. Les officiers généraux de notre gauche se récrioient. Montrevel, lieutenant général le plus ancien d’eux, ne pouvant plus souffrir ce qu’il voyoit, pressa M. du Maine, lui remontra l’instance des ordres réitérés qu’il recevoit du maréchal de Villeroy, la victoire facile et sûre, l’importance pour sa gloire, pour le succès de Namur, pour le grand fruit qui s’en devoit attendre de l’effroi et de la nudité des Pays-Bas après la déroute de la seule armée qui les pouvoit défendre. Il se jeta à ses mains, il ne put retenir ses larmes, rien ne fut refusé ni réfuté, mais tout fut inutile. M. du Maine balbutioit, et fit si bien que l’occasion échappa, et que M. de Vaudemont en fut quitte pour le plus grand péril qu’une armée pût courir d’être entièrement défaite, si son ennemi qui la voyoit et la comptoit homme par homme eût fait le moindre mouvement pour l’attaquer.

Toute notre armée étoit au désespoir, et personne ne se contraignoit de dire ce que l’ardeur, la colère et l’évidence suggéroient. Jusqu’aux soldats et aux cavaliers montroient leur rage sans se méprendre ; en un mot, officiers et soldats, tous furent plus outrés que surpris. Tout ce que put faire le maréchal de Villeroy fut de débander trois régiments de dragons, menés par Artagnan, maréchal de camp, sur leur arrière-garde, qui prirent quelques drapeaux et mirent quelque désordre dans les troupes qui faisoient l’arrière-garde de tout.

Le maréchal de Villeroy, plus outré que personne, étoit trop bon courtisan pour s’excuser sur autrui. Content du té-