Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moindre du peuple qui l’envoyoit chercher pour se confesser à lui, ou pour recevoir sa bénédiction et mourir entre ses bras, dont il s’acquittoit en vrai apôtre.

Fénelon étoit un homme de qualité qui n’avoit rien, et qui, se sentant beaucoup d’esprit, et de cette sorte d’esprit insinuant et enchanteur, avec beaucoup de talents, de grâces et du savoir, avoit aussi beaucoup d’ambition. Il avoit frappé longtemps à toutes les portes sans se les pouvoir faire ouvrir. Piqué contre les jésuites, où il s’étoit adressé d’abord comme aux maîtres des grâces de son état, et rebuté de ne pouvoir prendre avec eux, il se tourna aux jansénistes pour se dépiquer, par l’esprit et par la réputation qu’il se flattoit de tirer d’eux, des dons de la fortune qui l’avoit méprisé. Il fut un temps assez considérable à s’initier, et parvint après à être des repas particuliers, que quelques importants d’entre eux faisoient alors une ou deux fois la semaine chez la duchesse de Brancas. Je ne sais s’il leur parut trop fin, ou s’il espéra mieux ailleurs qu’avec gens avec qui il n’y avoit rien à partager que des plaies, mais peu à peu sa liaison avec eux se refroidit, et à force de tourner autour de Saint-Sulpice, il parvint à y en former une dont il espéra mieux. Cette société de prêtres commençoit à percer, et d’un séminaire d’une paroisse de Paris à s’étendre. L’ignorance, la petitesse des pratiques, le défaut de toutes protections, et le manque de sujets de quelque distinction en aucun genre, leur inspira une obéissance aveugle pour Rome et pour toutes ses maximes, un grand éloignement de tout ce qui passoit pour jansénisme, et une dépendance des évêques qui les fit successivement désirer dans beaucoup de diocèses. Ils parurent un milieu très-utile aux prélats qui craignoient également la cour sur les soupçons de doctrine, et la dépendance des jésuites qui les mettoient sous leur joug dès qu’ils s’étoient insinués chez eux, ou les perdoient sans ressource, de manière que ces sulpiciens s’étendirent fort promptement. Personne parmi