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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/373

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ses disciples, et elle s’en fit. Bientôt il s’éleva dans Saint-Cyr un petit troupeau tout à part, dont les maximes et même le langage de spiritualité parurent fort étrangers à tout le reste de la maison, et bientôt fort étranges à M. de Chartres. Ce prélat n’étoit rien moins que ce que M. de Cambrai s’en étoit figuré. Il étoit fort savant et surtout profond théologien ; il y joignoit beaucoup d’esprit ; il y avoit de la douceur, de la fermeté, même des grâces ; et ce qui étoit le plus surprenant dans un homme qui avoit été élevé et n’étoit jamais sorti de la profondeur de son métier, il étoit tel pour la cour et pour le monde que les plus fins courtisans, auroient eu peine à le suivre et auroient eu à profiter de ses leçons. Mais c’étoit en lui un talent enfoui pour les autres, parce qu’il ne s’en servoit jamais sans de vrais besoins. Son désintéressement, sa piété, sa rare probité les retranchoient presque tous, et Mme de Maintenon, au point où il étoit avec elle, suppléoit à tout.

Dès qu’il eut le vent de cette doctrine étrangère, il fit en sorte d’y faire admettre deux dames de Saint-Cyr sur l’esprit et le discernement desquelles il pouvoit compter, et qui pourroient faire impression sur Mme de Maintenon. Il les choisit surtout parfaitement à lui et les instruisit bien. Ces nouvelles prosélytes parurent d’abord ravies et peu à peu enchantées. Elles s’attachèrent plus que pas une à leur nouvelle directrice, qui, sentant leur esprit et leur réputation dans la maison, s’applaudit d’une conquête qui lui aplaniroit celle qu’elle se proposoit. Elle s’attacha donc aussi à gagner entièrement ces filles ; elle en fit ses plus chères disciples ; elle s’ouvrit à elles comme aux plus capables de profiter de sa doctrine et de la faire goûter dans la maison. Elle et M. de Cambrai, qu’elle instruisoit de tous ses progrès, triomphoient, et le petit troupeau exultoit. M. de Chartres, par le consentement duquel Mme Guyon étoit entrée à Saint-Cyr et y étoit devenue maîtresse extérieure, la laissa faire. Il la suivoit de l’œil ; ses fidèles lui