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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/39

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INTRODUCTION.

ne savait pas écrire (comme le disaient les marquises de Créquy et du Duffand), et qu’il était nécessaire de temps en temps, dans son intérêt et dans celui du lecteur, de le corriger. D’autres relèveront dans cette première édition des noms historiques estropiés, des généalogies mal comprises et rendues inintelligibles, des pages du manuscrit sautées, des transpositions et des déplacements qui ôtent tout leur sens à d’autres passages où Saint-Simon s’en réfère à ce qu’il a déjà dit ; pour moi, je suis surtout choqué et inquiet des libertés qu’on a prises avec la langue et le style d’un maître. M. de Chateaubriand, dans un jour de mauvaise humeur contre le plus grand auteur de Mémoires, a dit « Il écrit à la diable pour l’immortalité. » Et d’autres, entrant dans cette jalousie de Chateaubriand et comme pour la caresser, ont été jusqu’à dire de Saint-Simon qu’il était « le premier des barbares. » Il faut bien s’entendre sur le style de Saint-Simon, il n’est pas le même en tous endroits et à toute heure. Lorsque Saint-Simon écrit des Notes et commentaires sur le Journal de Dangeau, il écrit comme on fait pour des notes, à la volée, tassant et pressant les mots, voulant tout dire à la fois et dans le moindre espace. J’ai comparé ailleurs cette pétulance et cette précipitation des choses sous sa plume « à une source abondante qui veut sortir par un goulot trop étroit et qui s’y étrangle. » Toutefois, même dans ces brusques croquis de Notes, tels qu’on les a imprimés jusqu’ici, il y a bien des fautes qui tiennent à une copie inexacte. Dans ses Mémoires, Saint-Simon reprend ses premiers jets de portraits, les développe, et se donne tout espace. Quand il raconte des conversations, il lui arrive de reproduire le ton, l’empressement, l’afflux de paroles, les redondances, les ellipses. Habituellement et toujours, il a, dans sa vivacité à concevoir et à peindre, le besoin d’embrasser et d’offrir mille choses à la fois, ce qui fait que chaque membre de sa phrase pousse une branche qui en fait naître une troisième, et de cette quantité de branchages qui