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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/38

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xxxiv
INTRODUCTION.

toutefois que c’est intéressant. Mme du Deffand elle-même, la seule qui ait lu à la source, apprécie l’amusement plus que la portée de ces Mémoires. La forme de Saint-Simon tranchait trop avec les habitudes du style écrit au xviiie siècle, et on en parlait à peu près comme Fénelon a parlé du style de Molière et de cette « multitude de métaphores qui approchent du galimatias. » Tout ce beau monde d’alors avait fait, plus ou moins, sa rhétorique dans Voltaire.

L’inconvénient de ces publications tronquées, comme aussi des extraits mis au jour par Lemontey et portant sur les Notes manuscrites annexées au Journal de Dangeau, c’était de ne donner idée que de ce qu’on appelait la causticité de Saint-Simon, en dérobant tout à fait un autre côté de sa manière, qui est la grandeur. Cette grandeur, qui, nonobstant tout accroc de détail, allait à revêtir d’une imposante majesté l’époque entière de Louis XIV, et qui était la première vérité du tableau, ne pouvait se dévoiler que par la considération des ensembles et dans la suite même de ce corps incomparable d’annales. C’est donc la totalité des Mémoires qu’il fallait donner dans leur forme originale et authentique. L’édition de 1829 y a pourvu. La sensation produite par les premiers volumes fut très-vive : ce fut le plus grand succès depuis celui des romans de Walter Scott. Un rideau se levait tout d’un coup de dessus la plus belle époque monarchique de la France, et l’on assistait à tout comme si l’on y était. Ce succès toutefois, coupé par la Révolution de 1830, se passa dans le monde proprement dit, encore plus que dans le public ; celui-ci n’y arriva qu’un peu plus tard et graduellement.

Aujourd’hui il restait à faire un progrès important et, à vrai dire, décisif pour l’honneur de Saint-Simon écrivain. Cette première édition si goûtée avait été faite d’après un singulier principe et sur un sous-entendu étrange : c’est que Saint-Simon, parce qu’il a sa phrase à lui et qui n’est ni académique, ni celle de tout le monde, écrivait au hasard,