Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/394

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de 1662 et l’appointa sur celle de 1581[1], tellement qu’il se trouva par là au même état qu’étoit son père. Nous eûmes peine à entendre un arrêt si injuste et si nouveau, et qui statuoit ce qui ne pendoit point en question.

Quelque outré que je fusse, je proposai là même de nous aller assembler, mais je parlois à des gens à qui le dépit avoit bouché les oreilles. Rentré chez moi, ce même dépit qui me faisoit tout une autre impression, m’en fit sortir pour aller tâcher de persuader M. de La Rochefoucauld de porter ses plaintes au roi, mais je ne trouvai qu’un homme furieux, incapable de rien entendre ni de rien faire, et qui s’exhaloit inutilement. Je revins donc chez moi plus piqué contre les nôtres que contre nos juges. Je n’y fus pas longtemps que la duchesse de La Trémoille me manda d’aller chez Riparfonds. Je fus surpris d’y trouver M. de La Rochefoucauld avec elle qui l’exhortoit avec force comme j’avois fait le matin. Je me joignis à elle, mais nous y perdîmes notre temps. Il ne répondit qu’en furie, et au fond qu’en mollesse, et las enfin d’être serré de si près, il nous laissa. Mme de La Trémoille, outrée, ne se contraignit pas sur son chapitre, et puis nous nous séparâmes. Rentrant chez moi, il me vint dans la pensée de faire un mémoire pour le roi. Comme il explique bien l’arrêt et nos sujets de plaintes, je l’insérerai ici.

« Sire.

« L’arrêt qui a été rendu ce matin sur notre affaire porte des caractères si singuliers, que nous croyons pouvoir oser supplier la bonté et la patience de Votre Majesté de trouver bon que nous ayons l’honneur de lui en rendre compte. Nous commencerons par nous dépouiller des premiers mou-

  1. On appointait un procès lorsqu’on renvoyait les parties à une décision qui devait être prise ultérieurement sur le vu des pièces parce que la question ne paraissait pas suffisamment éclaircie. C’était quelquefois un moyen d’ajourner indéfiniment la solution d’un procès.