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364 D'O ET MADAME D'O (1696)

et d’imposer aux sots par un silence dédaigneux, une mine et une contenance grave et austère, tout le maintien important, dévot de profession ouverte, assidu aux offices de la chapelle, où dans d’autres temps on le voyoit encore en prières, et de commerce qu’avec des gens en faveur ou en place dont il espéroit tirer parti, et qui, de leur côté, le ménageoient à cause de ses accès. Il sut peu à peu gagner l’amitié de son pupille, pour demeurer dans sa confiance quand il n’auroit plus la ressource de son titre et de ses fonctions auprès de lui. Sa femme lui aida fort en cela, et ils y réussirent si bien que, leur temps fini par l’âge de M. le comte de Toulouse, ils demeurèrent tous deux chez lui comme ils y avoient été, avec toute sa confiance et l’autorité entière sur toute administration chez lui. Mme d’O vivoit d’une autre sorte. Elle avoit beaucoup d’esprit, plaisante, complaisante, toute à tous et amusante ; son esprit étoit tout tourné au romanesque et à la galanterie, tant pour elle que pour autrui. Sa table rassembloit du monde chez elle, et cette humeur y étoit commode à beaucoup de gens, mais avec choix et dont elle pouvoit faire usage pour sa fortune et dans les premiers temps où M. le comte de Toulouse commença à être hors de page et à se sentir, elle lui plut fort par ses facilités. Elle devint ainsi amie intime de vieilles et de jeunes par des intrigues et par des vues de différentes espèces, et comme elle faisoit mieux ses affaires de chez elle que de dehors, elle sortoit peu, et toujours avec des vues. Cet alliage de dévotion et de retraite d’une part, de tout l’opposé de l’autre, mais avec jugement et prudence, étoit quelque chose de fort étrange dans ce couple si uni et si concerté. Mme d’O se donnoit pour aimer le monde, le plaisir, la bonne chère ; et pour le mari on l’auroit si bien pris pour un pharisien, il en avoit tant l’air, l’austérité, les manières, que j’étois toujours tenté de lui couper son habit en franges par derrière ; bref, tous ces manèges firent Mme d’O dame du palais. Si son mari, qui étoit