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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/43

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LETTRE


ÉCRITE PAR SAINT-SIMON À M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE, EN LE CONSULTANT SUR SES MÉMOIRES.


« Versailles, le 29 mars 1699.


« Il faut, Monsieur, que je sois bien convaincu que vous avez pour moi une bonté extrême, pour oser prendre la liberté que je fais en vous envoyant par la voie de M. du Charmel les papiers dont j’eus l’honneur de vous parler en mon dernier voyage, lorsque vous me permîtes de le faire. Je vous dis lors qu’il [y] avoit déjà quelque temps que je travaillois à des espèces de Mémoires de ma vie qui comprenoient tout ce qui a un rapport particulier à moi, et aussi un peu en général et superficiellement une espèce de relation des événements de ces temps, principalement des choses de la Cour[1] ; et comme je m’y suis proposé une exacte vérité, aussi m’y suis-je lâché à la dire bonne et mauvaise, toute telle qu’elle m’a semblé sur les uns et les autres, songeant à satisfaire mes inclinations et passions en tout ce que la vérité m’a permis de dire, attendu que travaillant pour moi et bien peu des miens pendant ma vie, et pour qui voudra

  1. On voit quelle était à cette date de 1699, c’est-à-dire quand il n’avait encore que vingt-quatre ans, la première idée de Saint-Simon en rédigeant ses Mémoires : mettre avec grand détail ce qui le concernait, et assez superficiellement ce qui regardait les autres. Mais, une fois à l’œuvre et à mesure qu’il y mordait, son dessein s’est accru et l’accessoire est devenu le principal ; le peintre, en présence de sa toile et de ses modèles, n’y a pas tenu et s’est donné carrière.