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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/441

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vîmes qu’ils n’avoient plus ni canon, ni camp, ni personne sur leurs montagnes. Un gros brouillard, qui nous en ôta incontinent la vue, tomba sur les neuf ou dix heures du matin, et nous laissa apercevoir à découvert leur retraite. Ils marchoient en bataille derrière la plaine de Musbach, où ils avoient laissé divers petits pelotons de cavalerie épars, pour nous observer et escarmoucher s’ils étoient suivis. Harcourt vint trouver le maréchal à une batterie élevée où nous étions, et chacun fut fort aise d’être délivré d’un ennemi si peu à craindre dans le poste où nous étions, mais d’ailleurs si importun par la vigilance que demandoit un si proche voisinage. Saint-Frémont qui se trouvoit de jour, étoit sorti avec quelques gardes ordinaires à la tête du village de Weintzingen sous Neustadt ; il eut envie de se faire valoir à bon marché, et envoya à plusieurs reprises demander quelques troupes au maréchal pour pousser ce qui étoit dans la plaine, dont à la fin, ce dernier s’impatienta.

Comme son projet avoit été d’arrêter les ennemis et non d’aller à eux pour les combattre, mais de rompre tous leurs desseins en barrant de la montagne au Rhin, nos inondations étoient faites en sorte qu’il n’y avoit que deux ouvertures par lesquelles on ne pouvoit sortir qu’un à un. La raison du maréchal fut donc que s’il n’y avoit dans la plaine que ces petits pelotons que nous voyions, ce n’étoit pas la peine d’aller à eux pour leur faire doubler le pas ; que si, au contraire, il y avoit des troupes derrière les haies et ce qui bornoit notre vue, il ne falloit pas exposer Saint-Frémont à être battu sous nos yeux sans pouvoir être secouru et faire ainsi, sans raison, une mauvaise affaire et honteuse, d’une bonne, puisque les ennemis se retiroient sans avoir pu exécuter quoi que ce soit. Saint-Frémont, qui avoit aussi ses souterrains et qui étoit ami du marquis d’Harcourt, ne laissa pas d’être accusé d’avoir écrit : qu’il n’avoit tenu qu’au maréchal de Choiseul de battre l’arrière-garde des ennemis, sans qu’il eût pu le lui persuader. Les