Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/476

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plein d’esprit, de sagesse, d’honneur et de probité, fort huguenot, mais d’une grande conduite et d’une grande dextérité. Ces qualités, qui lui avoient acquis une grande réputation parmi ceux de sa religion, lui avoient donné beaucoup d’amis importants, et une grande considération dans le monde. Les ministres et les principaux seigneurs le comptoient et n’étoient pas indifférents à passer pour être de ses amis, et les magistrats du plus grand poids s’empressoient aussi à en être. Sous un extérieur fort simple, c’étoit un homme qui savoit allier la droiture avec la finesse de vues et les ressources, mais dont la fidélité étoit si connue, qu’il avoit les secrets et les dépôts des personnes les plus distinguées. Il fut un grand nombre d’années le député de sa religion à la cour, et le roi se servit souvent des relations que sa religion lui donnoit en Hollande, en Suisse, en Angleterre et en Allemagne, pour y négocier secrètement, et il y servit très-utilement. Le roi l’aima et le distingua toujours, et il fut le seul, avec le maréchal de Schomberg, à qui le roi offrit de demeurer à Paris et à sa cour avec leurs biens et la secrète liberté de leur religion dans leur maison, lors de la révocation de l’édit de Nantes, mais tous deux refusèrent. Ruvigny emporta ce qu’il voulut, et laissa ce qu’il voulut aussi, dont le roi lui permit la jouissance. Il se retira en Angleterre avec ses deux fils. La Caillemotte, le cadet, plus disgracié encore du côté de l’âme que de celui du corps, mourut bientôt après. Le père ne survécut pas longtemps, et son aîné continua à jouir des biens que son père avoit laissés en France. Il s’attacha au service du prince d’Orange, à la révolution, qui le fit comte de Galloway en Irlande, et l’avança beaucoup. Il étoit bon officier. Il avoit de l’ambition ; elle le rendit ingrat. Il se distingua en haine contre le roi et contre la France, quoique le seul huguenot qu’on y laissoit jouir de son bien, même servant le prince d’Orange. Le roi le fit avertir plusieurs fois du mécontentement qu’il avoit de sa conduite. Il en augmenta les