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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/60

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INTRODUCTION.

remarqués. Ceux qui ont la confiance des généraux, des ministres, encore plus ceux qui ont celle des princes, ne doivent pas leur laisser ignorer les mœurs, la conduite, les actions des hommes. Ils sont obligés de les leur faire connoître tels qu’ils sont, pour les garantir de pièges, de surprises, et surtout de mauvais choix. C’est une charité due à ceux qui gouvernent, et qui regarde très-principalement le public qui doit être toujours préféré au particulier. Les conducteurs de la chose publique, en tout ou en partie, sont trop occupés d’affaires, trop circonvenus, trop flattés, trop aisément abusés et trompés par le grand intérêt de le faire pour pouvoir bien démêler et discerner. Ils sont sages de se faire éclairer sur les personnes, et heureux lorsqu’ils trouvent des amis vrais et fidèles qui les empêchent d’être séduits ; et le public, ou la portion du public qui en est gouvernée, a grande obligation à ces conseillers éclairés qui les préservent de tant de sortes d’administrations, dans lesquelles il a toujours tant à souffrir quand elles sont commises en de mauvaises mains ; et il ne suffit pas à ceux qui ont l’oreille de ces puissants du siècle d’attendre qu’ils les consultent sur certaines personnes mauvaises : ils doivent prévenir leur goût, leur facilité, les embûches qui leur sont dressées, et les prévenir à temps d’y tomber. Ils se doivent estimer placés pour cela dans la confiance de ces maîtres du siècle ; et ceux-là même qui ont celle de ces favoris à portée de tout dire ne doivent pas négliger de les éclairer, et de se rendre ainsi utiles à la société. Il en est de même envers les proches et les amis.

S’il est évident, comme on vient de le montrer, que la charité permet de se défendre et d’attaquer même les méchants ; si elle veut que les bons soient avertis et soutenus ; si elle exige que ceux qui sont établis en des administrations publiques soient éclairés sans ménagement sur les personnes et sur les choses, quoique toutes ces démarches ne se puissent faire sans nuire d’une façon très-directe et très-radicale