Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/59

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INTRODUCTION.

Elle n’ordonne pas, sous prétexte d’aimer les personnes parce que ce sont nos frères, d’aimer en eux leurs défauts, leurs vices, leurs mauvais desseins, leurs crimes ; elle n’ordonne pas de s’y exposer ; elle ne défend pas, mais elle veut même qu’on en avertisse ceux qu’ils menacent, même qu’ils regardent, pour qu’ils puissent s’en garantir, et elle ne défend pas de prendre tous les moyens légitimes pour s’en mettre à couvert.

Tout est plein de cette pratique chez les saints les plus révérés, et les plus illustres qui n’ont pas même épargné les découvertes des faits les plus fâcheux ni les invectives les plus amères, contre les méchants particuliers dont ils ont eu à se défendre ou qu’ils ont cru devoir décrier ; et quand je dis les méchants particuliers, cette expression n’est que pour exclure la généralité vague, montrer qu’ils s’en sont pris aux personnes de leur temps, et quelquefois les plus élevées dans l’Église ou dans le monde. La raison de cette conduite est évidente, c’est que la charité n’est destinée que pour le bien, et autant qu’on le peut conserver, pour les personnes ; mais dès qu’elle devient préjudiciable au bien, et qu’il ne s’agit plus que de personnes et de personnes, il est clair qu’elle est due aux bons aux dépens des mauvais, à qui il n’est pas permis de laisser le champ libre, d’opprimer et de nuire aux bons, faute de les avertir, de les défendre, de publier autant qu’il le faut, les artifices, les mauvais desseins, la conduite dangereuse, les crimes même des mauvais, qui, si on les laissoit faire, deviendroient les maîtres de toutes leurs entreprises, et réussiroient sûrement, toujours contre les bons, et qui malgré ces secours les accablent si souvent.

De cet éclaircissement il en résulte un autre : c’est que le chrétien à qui la charité défend de mal parler et de nuire à son prochain, et dans toute l’étendue qui vient d’être rapportée, est par elle-même obligée à tout le contraire en certains cas, différents encore de ceux qui viennent d’être