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PAR LE ROI EN PERSONNE.

chariots devinrent inutiles, en sorte que les transports des bombes, boulets, etc., ne purent se faire qu’à dos de mulets et de chevaux tirés de tous les équipages de l’armée et de la cour, sans le secours desquels il auroit été impossible. Ce même inconvénient des chemins priva l’armée de M. de Luxembourg de l’usage des voitures. Elle périssoit faute de grains, et cet extrême inconvénient ne put trouver de remède que par l’ordre que le roi donna à sa maison de prendre tous les jours par détachement des sacs de grains en croupe, et de les porter en un village où ils étoient reçus et comptés par des officiers de l’armée de M. de Luxembourg. Quoique la maison du roi n’eût presque aucun repos pendant ce siège pour porter les fascines, fournir les diverses gardes et les autres services journaliers, ce surcroît lui fut donné, parce que la cavalerie servoit continuellement aussi, et en étoit aux feuilles d’arbres presque pour tout fourrage.

Cette considération ne satisfit point la maison du roi, accoutumée à toutes sortes de distinction. Elle se plaignit avec amertume. Le roi se roidit et voulut être obéi. Il fallut donc le faire. Le premier jour, le détachement des gens d’armes et des chevau-légers de la garde, arrivé de grand matin au dépôt des sacs, se mit à murmurer et, s’échauffant de propos les uns les autres, vinrent jusqu’à jeter les sacs et à refuser tout net d’en porter. Crenan, dans la brigade duquel j’étois, m’avoit demandé poliment si je voulois bien être du détachement pour les sacs, sinon qu’il me commanderoit pour quelque autre ; j’acceptai les sacs, parce que je sentis que cela feroit ma cour par tout le bruit qui s’étoit déjà fait là-dessus. En effet j’arrivai avec le détachement des mousquetaires au moment du refus des troupes rouges, et je chargeai mon sac à leur vue. Marin, brigadier de cavalerie et lieutenant des gardes du corps, qui étoit là pour faire charger les sacs par ordre, m’aperçut en même temps, et, plein de colère du refus qu’il venoit d’essuyer, s’écria, me touchant en me montrant et me nommant : « que puisque je ne trouvois