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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/86

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[1692]
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APPARTEMENT.

des salons du bout de la grande galerie jusque vers la tribune de la chapelle. D’abord, il y avoit une musique ; puis des tables par toutes les pièces toutes prêtes pour toutes sortes de jeux ; un lansquenet où Monseigneur et Monsieur jouoient toujours ; un billard : en un mot, liberté entière de faire des parties avec qui on vouloit, et de demander des tables si elles se trouvoient toutes remplies ; au delà du billard, il y avoit une pièce destinée aux rafraîchissements, et tout parfaitement éclairé. Au commencement que cela fut établi, le roi y alloit et y jouoit quelque temps, mais dès lors il y avoit longtemps qu’il n’y alloit plus, mais il vouloit qu’on y fût assidu, et chacun s’empressoit à lui plaire. Lui cependant passoit les soirées chez Mme de Maintenon à travailler avec différents ministres les uns après les autres.

Fort peu après la musique finie, le roi envoya chercher à l’appartement Monseigneur et Monsieur, qui jouoient déjà au lansquenet ; Madame qui à peine regardoit une partie d’hombre auprès de laquelle elle s’étoit mise ; M. de Chartres qui jouoit fort tristement aux échecs, et Mlle de Blois qui à peine avoit commencé à paroître dans le monde, qui ce soir-là étoit extraordinairement parée et qui pourtant ne savoit et ne se doutoit même de rien, si bien que, naturellement fort timide et craignant horriblement le roi, elle se crut mandée pour essuyer quelque réprimande, et étoit si tremblante que Mme de Maintenon la prit sur ses genoux où elle la tint toujours la pouvant à peine rassurer. À ce bruit de ces personnes royales mandées chez Mme de Maintenon et Mlle de Blois avec elle, le bruit du mariage éclata à l’appartement, en même temps que le roi le déclara dans ce particulier. Il ne dura que quelques moments, et les mêmes personnes revinrent à l’appartement, où cette déclaration fut rendue publique. J’arrivai dans ces premiers instants. Je trouvai le monde par pelotons, et un grand étonnement régner sur tous les visages. J’en appris bientôt la cause qui