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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/99

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[1692]
MADAME DE SAINT-VALLERY.

paternelle de Gamaches, le chevalier de l’ordre. C’étoit une femme grande, belle, agréable, très-bien faite, de fort peu d’esprit, à qui la douceur et une vertu jamais démentie et une piété solide tenoient lieu de tout le reste, et la rendirent aimable et respectée de toute la cour, où elle ne vint que malgré elle. Aussi n’y demeura-t-elle que le moins qu’elle put. Elle s’aperçut qu’on avoit envie de sa place où tout lui déplaisoit, et que M. du Maine se radoucissoit autour d’elle, ou naturellement, ou de dessein. Il n’en fallut pas davantage pour lui faire demander à se retirer, avec la douleur de toute la cour, que sa beauté, sa vertu, sa modestie et le grand air de toute sa personne avoient charmée. On mit en sa place Mme de Manneville, femme du gouverneur de Dieppe et de la dernière duchesse de Luynes fille du chancelier d’Aligre[1]. Mme de Manneville étoit fille de Montchevreuil ; et c’étoit tellement leur vrai ballot, qu’on ne comprend pas comment elle n’y avoit pas été mise d’abord.

Montchevreuil étoit Mornay, de bonne maison, sans esprit aucun, et gueux comme un rat d’église. Villarceaux, de même maison que lui, étoit un débauché fort riche, ainsi que l’abbé son frère, avec qui il vivoit. Villarceaux entretint longtemps Mme Scarron, et la tenoit presque tout l’été à Villarceaux. Sa femme, dont la vertu et la douceur donnoient une sorte de respect au mari, lui devint une peine de mener cette vie en sa présence. Il proposa à son cousin Montchevreuil de le recevoir chez lui avec sa compagnie, et qu’il mettroit la nappe pour tous. Cela fut accepté avec joie, et ils vécurent de la sorte nombre d’étés à Montchevreuil.

  1. La phrase est reproduite textuellement d’après le manuscrit autographe. Il y a erreur évidente. Il faut lire probablement : « Madame de Manneville, femme du gouverneur de Dieppe et belle-fille de la dernière duchesse de Luynes fille du chancelier d’Aligre. » En effet, Marguerite d’Aligre, fille du chancelier, épousa en premières noces Charles de Bonaventure, marquis de Manneville, et en secondes noces, Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes. Du premier mariage était né Étienne de Manneville, gouverneur de Dieppe, qui épousa Bonne-Angélique de Mornay-Montchevreuil, dont il s’agit ici.