Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/104

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États où il comptoit de les resserrer fort dans un couvent, mais à la fin elles obtinrent, l’une de retourner chez sa mère à Bruxelles, l’autre de l’y aller trouver d’ici. Pendant ce temps-là le comte de Soissons, leur frère aîné, qui étoit sorti d’ici depuis quelques années, quoique comblé des grâces et des bontés du roi, continuoit à courir l’Europe pour chercher du service et du pain. On n’en avoit voulu, ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni à Venise. Il s’en alla chercher fortune en Espagne, qu’il n’y trouva non plus qu’ailleurs. Il eut peine à obtenir permission de passer à Turin, où M. de Savoie ne le vouloit point voir. Sa femme y étoit dans un couvent, fort pauvre et fort retirée.

L’évêque de Poitiers étoit mort au commencement de cette année. Il avoit été longtemps prêtre de l’Oratoire sous le nom de P. Saillans, et il étoit de ces Baglioni qui ont tant figuré dans les guerres d’Italie. Ses sermons l’avoient fait évêque de Tréguier, où il avoit appris le bas-breton pour pouvoir entendre et prêcher les peuples de ce diocèse. De là il passa à Poitiers.

C’étoit un excellent évêque, qui venoit peu à Paris. Il ressembloit parfaitement à tous les portraits de saint François de Sales. J’en fus très-fâché ; il étoit ami intime de mon père et de ma mère. Son évêché fut donné à Pâques à l’abbé de Caudelet. C’étoit un bon gentilhomme de Bretagne, frère d’un capitaine aux gardes, fort estropié, et qui avoit bien servi. Ils étoient parents de la maréchale de Créqui, et souvent chez elle. L’envie de lui voir un si bel évêché et la rage de n’en avoir point firent aller au P. de La Chaise les plus noires calomnies contre l’abbé de Caudelet qui avoit toujours passé pour un fort honnête homme et de très-bonnes mœurs, et qui l’étoit en effet, et entre autres impostures, qu’il avoit passé au jeu tout le vendredi saint, veille du jour de sa nomination à Poitiers. La vérité étoit qu’ayant assisté à tous les offices de la journée, il alla sur le soir voir la maréchale de Créqui qui était seule et fatiguée des dévotions. Elle aimoit à jouer ;