Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/105

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elle proposa à l’abbé de l’amuser une heure au piquet. Il le fit par complaisance, fit collation avec elle et puis se retira. Cela fut bien vérifié ensuite. Le P. de La Chaise, épouvanté de ce qu’il recevoit sur son compte, le dit au roi qui lui ôta sur-le-champ Poitiers. L’éclat fut grand : le pauvre abbé, accablé de l’affront, se cacha longtemps, puis fut trouvé dans la Chartreuse de Rouen, où, sans prendre l’habit, il vécut longtemps comme les chartreux. Au bout de quelques années il s’en alla en Bretagne, où il a passé le reste de sa vie dans la même solitude et dans la même piété, sans s’en être dérangé un moment, ni [avoir] jamais fait la moindre démarche pour avoir quoi que ce soit.

Son frère cependant éclaircit la scélératesse, et prouva si nettement la fausseté de tous les allégués, que le P. de La Chaise, qui étoit bon et droit, fit tout ce qu’il put pour obtenir un gros évêché à l’abbé de Caudelet ; mais le roi tint ferme, jusque-là qu’ils en eurent des prises lui et son confesseur, à qui il reprocha qu’il étoit trop bon, et l’autre, au roi, qu’il étoit trop dur et qu’il ne revenoit jamais. Il ne se rebuta point, et tant qu’il a vécu, il a souvent fait de nouveaux efforts, mais tous aussi inutiles.

On sut aussi qui étoit le faux délateur, et qui avoit fait et envoyé ces calomnies atroces. C’étoit l’abbé de La Châtre, frère du gendre du marquis de Lavardin. Il étoit aumônier du roi depuis longtemps, et il enrageoit de n’être point évêque, et contre tous ceux qui le devenoient. C’étoit un homme qui ne manquoit pas d’esprit, mais pointu, désagréable, pointilleux, fort ignorant parce qu’il n’avoit jamais voulu rien faire, et si perdu de mœurs, que je lui vis dire la messe à la chapelle un mercredi des cendres, après avoir passé la nuit masqué au bal, faisant et disant les dernières ordures, à ce que vit et entendit M. de La Vrillière devant qui il se démasqua, et qui me le conta le lendemain matin une demi-heure avant que je le rencontrasse