Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/110

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épousa, en février 1675, Anne-Marie de La Trémoille, fille de M. de Noirmoutiers, qui figura assez dans les troubles de la minorité de Louis XIV pour se faire faire duc à brevet. Elle avoit épousé Blaise de Talleyrand, qui se faisoit appeler le prince de Chalois, et qui fut de ce fameux duel contre MM. de La Frette, où le frère aîné du duc de Beauvilliers fut tué, et qui fit sortir les autres du royaume. Mme de Chalois alla joindre son mari en Espagne, d’où ils passèrent en Italie. Elle alla toujours devant à Rome, où la mort empêcha son mari de l’aller trouver. Elle étoit jeune, belle, de beaucoup d’esprit avec beaucoup de monde, de grâces et de langage ; elle eut recours à Rome aux cardinaux de Bouillon et d’Estrées, qui en prirent soin en faveur du nom et de la nation, et bientôt après pour des raisons plus touchantes. Le désir de la retenir à Rome, où ils étoient pour du temps, leur fit naître celui de l’y établir. Elle n’avoit point d’enfants, et presque point de bien. Ils écrivirent à la cour qu’un homme de la considération dont étoit à Rome le duc de Bracciano étoit bon à acquérir au roi, et que le moyen de le lui attacher étoit de lui faire épouser Mme de Chalais. La pensée fut approuvée et suivie. M. de Bracciano, tonnelé par les deux cardinaux, se persuada qu’il étoit amoureux de Mme de Chalois ; il n’avoit point d’enfants, le mariage se fit, et la même année il fut fait chevalier de l’ordre. Mme de Bracciano étala tout son esprit et tous ses charmes à Rome, et fit bientôt du palais des Ursins une espèce de cour où se rassembloit tout ce qu’il y avoit de plus grand et de meilleure compagnie en hommes et en femmes : c’étoit la mode d’y aller, et être sur un pied de distinction d’y être reçu. Le mari cependant étoit compté pour peu de chose.

Le ménage ne fut pas toujours concordant, mais sans brouillerie ouverte : ils furent quelquefois bien aises de se séparer. C’est ce qui donna lieu à la duchesse de Bracciano de faire deux voyages en France, au dernier desquels elle passa quatre ou cinq ans. C’est celui où je la connus, et où je puis dire que je fis avec elle une