Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/133

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sur des épines, et elles ne cherchoient qu’à se dissiper, ce qui arrivoit bientôt après.

Cela parut bien nouveau et assez amer aux deux sœurs ; mais, semblables à leurs maris en vertus et en bienséances, elles ne coururent après personne, se tinrent tranquilles, virent sans dédain ce flux de la cour, mais sans paroître embarrassées, reçurent bien le peu et le rare qui leur vint, mais sans empressement, et à leur façon ordinaire, et surtout sans rien chercher, et ne laissèrent pas de bien remarquer et distinguer les différentes allures, et tous les degrés de crainte, de politique ou d’éloignement. Leurs maris aussi courtisés, et encore plus environnés qu’elles, éprouvèrent encore plus d’abandon, et ne s’en émurent pas davantage. Tout cela eut un temps, et peu à peu, on se rapprocha d’eux et d’elles, parce qu’on vit le roi les traiter avec la même distinction, et que la même politique qui avoit éloigné d’eux le gros du monde l’en rapprocha dans les suites, et que l’envie, lasse de bouder inutilement, fit enfin comme les autres.

Pendant ces dégoûts, La Reynie interrogea plusieurs fois Mme Guyon et le P.

La Combe. Il se répandit que ce barnabite disoit beaucoup, mais que Mme Guyon se défendoit avec beaucoup d’esprit et de réserve. Les écrits continuoient. Le roi loua publiquement l’histoire de toute cette affaire, que M. de Meaux lui avoit présentée, et dit qu’il n’y avoit pas avancé un mot qui ne fût vrai. M. de Meaux étoit ce voyage-là fort brillant à Marly, et le roi avoit chargé le nonce d’envoyer ce livre au pape. Rome fut agitée de tout cet éclat.

L’affaire qui dormoit un peu à la congrégation du Saint-Office, où elle avoit été renvoyée, reprit couleur, et couleur qui commença à devenir fort louche pour M. de Cambrai.

Dans ces entrefaites, il arriva une chose qui ne laissa pas de m’importuner. M. de Meaux étoit anciennement ami de M. de la Trappe : il l’étoit allé voir quelquefois, et ils s’écrivoient de temps en temps ; ils s’aimoient et ils s’estimoient