Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/217

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l’aîné de la maison de Lorraine, et comme tel il fut chargé de la procuration pour épouser Mademoiselle. Cette cérémonie enfanta un étrange prodige qui fut d’abord su de peu de personnes, mais qui perça à la fin. Il entra dans la tête des Lorrains de rendre équivoque la supériorité de rang de M. le duc de Chartres sur M. le duc de Lorraine, et ces obliquités leur ont si souvent réussi, et frayé le chemin aux plus étranges entreprises, qu’il leur est tourné en maxime de les hasarder toujours.

L’occasion étoit faite exprès pour leur donner beau jeu : il ne s’agissoit que d’exclure M. et Mme de Chartres de la cérémonie. Mademoiselle, fille ou mariée, conservoit son même rang de petite-fille de France, et sans aucune difficulté précédoit, après son mariage comme devant, les filles de Gaston de même rang qu’elle, et les princesses du sang toutes d’un rang inférieur au sien. Le chevalier de Lorraine, accoutumé à dominer Monsieur, osa le lui proposer, et Monsieur, le plus glorieux prince du monde, et qui savoit le mieux et avec le plus de jalousie tout ce qui concernoit les rangs et les cérémonies, partialité à part pour les Lorrains, Monsieur y consentit. Il en parla à M. son fils, qui lui témoigna sa surprise, et qui fort respectueusement lui déclara qu’il ne s’abstiendroit point de la cérémonie et qu’il y garderoit son rang au-dessus de Mme sa sœur. Monsieur, qui eut peur du roi si l’affaire se tournoit en aigreur, fila doux et tâcha d’obtenir de l’amitié et de la complaisance ce qu’il n’osoit imposer par voie d’autorité. Tout fut inutile, encore que Madame favorisât la proposition de Monsieur, parce qu’elle était en faveur d’un prince qu’elle regardoit comme Allemand, et ils se tournèrent sourdement à la ruse. Pendant toutes ces menées domestiques, M. de Couronges se désoloit de la fermeté qu’il rencontroit sur beaucoup de points qui tenoient M. de Lorraine fort en brassière dans son État, principalement celui de l’exacte démolition des fondements mêmes des fortifications de Nancy. Dans le désespoir de rien obtenir par lui-