Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/310

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mais peu à peu, il y eut des froideurs entre elle et Pontchartrain qu’elle ne manioit pas avec la facilité qu’elle voulait. Sa femme, qu’elle goûta toujours, et dans tous les temps, tâchoit de rendre Pontchartrain plus complaisant ; et pour l’amour d’elle, Mme de Maintenon en souffrit des roideurs qu’elle n’eût jamais passées à un autre ; mais la pelote grossit tant qu’elle fut ravie de s’en défaire honnêtement par les sceaux. Il fut ministre d’État fort peu après avoir été fait secrétaire d’État ; il avoit lu assez pour être instruit de beaucoup de choses, à travers son application et son assiduité à ses fonctions et son goût pour le monde et la bonne compagnie. Il étoit élevé dans le parlement et dans ses maximes, duquel il n’étoit rien moins qu’esclave ; mais il en avoit pris le bon sur les maximes de France à l’égard de Rome. Ces matières, qui se présentoient souvent au conseil sous divers aspects, ne lui échappoient sous aucun. L’extrême facilité de son appréhension, et l’agilité ferme et forte de son élocution, blessoient souvent le duc de Beauvilliers là-dessus, dont l’esprit et la conscience ne pouvoient être d’accord sur ces matières, et qui, en gros, étoit toujours pour les maximes de France, mais dans le détail, s’en échappoit toujours en faveur de Rome. Cela les avoit aigris l’un contre l’autre, et quelquefois jusqu’à l’indécence de la part de Pontchartrain qui, ayant plus de fond que le duc, ne le ménageoit pas en ces occasions, et les rendit ennemis autant que des gens de bien le peuvent être. Le nombre immense de créations d’offices et d’affaires extraordinaires, auxquelles la nécessité de la guerre engagea, ne laissa pas de tomber en partie sur Pontchartrain, et c’étoit ce qui le pressoit sans cesse de quitter les finances. Il le fut d’établir la capitation et le dixième[1] inventés l’un et l’autre par le puissant Bâville, le maître du Languedoc sous le nom d’intendant,

  1. Voy. sur la capitation, t. Ier, p. 227, note. L’impôt du dixième consistait dans la dîme, ou dixième partie des revenus de toute espèce. Tous les Français, nobles et roturiers, y étaient soumis.