Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/317

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intimes. Sept ou huit mois avant que Chamillart devînt contrôleur général, il alla trouver Dreux, et avec amitié lui dit que leurs enfants étoient en âge de se marier et de les acquitter de leur parole. Dreux, très touché d’une proposition qui, par la fortune, étoit si disproportionnée de la sienne, et qui faisoit celle de son fils, fit tout ce qu’un homme d’honneur peut faire pour le détourner d’une affaire qui n’étoit plus dans les termes ordinaires, et qui dans les suites feroit l’embarras de sa famille, lui rendit sa parole, refusa et dit que c’étoit lui-même qui lui en manquoit, parce qu’il lui en vouloit manquer. Ce combat d’amitié et de probité dura plusieurs jours de part et d’autre. À la fin Chamillart bien résolu à partager sa fortune avec son ami l’emporta, et le mariage se fit. Il obtint pour son gendre l’agrément du régiment d’infanterie de Bourgogne, et tôt après sa fortune, de la charge de grand maître des cérémonies que Blainville lui vendit, et le roi prit prétexte de cette charge pour faire entrer Mme Dreux dans les carrosses, et manger avec Mme la duchesse de Bourgogne. C’est le premier exemple de deux noms de bourgeois se décorer d’eux-mêmes, et sans prétexte de terre, du nom de marquis et de comte ; car tout aussitôt M. Dreux devint M. le marquis de Dreux[1], et Chamillart le frère M. le comte de Chamillart, tant la faveur enchérit toujours sur les plus folles nouveautés que la bassesse du monde crée et adopte. Ce nouveau marquis se montra un fort brave homme, mais bête, obscur, brutal, et avec le temps, audacieux, insolent, et quelque chose de pis encore, et sans se défaire des bassesses de son état et de son éducation. Sa femme ne fut heureuse ni par lui ni avec lui, et méritoit infiniment de l’être : une grande douceur, beaucoup de vertu et de sagesse, bien de l’esprit, et avec le temps, de connoissance du monde et des gens, du manège mais sans rien de mauvais, et si fort en

  1. Voy. à la fin du volume une note de MM. de Dreux-Nauoré et de Dreux-Brezé qui établit que M. de Dreux était de grande et ancienne maison.