Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/340

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put jamais se tirer d’affaire. La confiance de la province et de tout le monde étoit si grande en lui, qu’on l’avoit laissé plusieurs années sans compter : ce fut sa ruine.

Beaucoup de gens y perdirent gros. La Bretagne y demeura pour beaucoup, et il demeura entièrement ruiné. C’est, je crois, l’unique exemple d’un comptable de deniers publics avec qui ses maîtres et tout le public perdent, sans que sa probité en ait reçu le plus léger soupçon. Les perdants mêmes le plaignirent, tout le monde s’affligea de son malheur ; c’est ce qui fit que le roi se contenta d’une prison perpétuelle. Il la souffrit sans se plaindre et la passa dans une grande piété, fort visité de beaucoup d’amis et secouru de plusieurs.

Cela n’empêcha pas son fils de devenir maître des requêtes et intendant de province, avec réputation d’esprit et de probité. Il se fit aimer et estimer, et il auroit été plus loin, si la piété tant de lui que de sa femme dont il n’avoit point d’enfants, ne les avoit engagés à tout quitter pour ne penser qu’à leur salut. J’ai fort vu cette Mme d’Arrouy à Pontchartrain, qui avoit beaucoup d’esprit, et un esprit très-aimable et orné, extrêmement dans les meilleures œuvres, et extrêmement janséniste. Je me suis souvent fort diverti à disputer avec elle. J’étois ravi quand je l’y trouvois.

On attendoit au retour de Fontainebleau M. de Lorraine pour rendre au roi son hommage lige du duché de Bar et de ses autres terres mouvantes de la couronne. Mme la Duchesse devoit venir avec lui, et Monsieur les défraya à Paris et leur donna, au Palais-Royal, l’appartement de M. et de Mme la duchesse de Chartres. Nul embarras pour Mme de Lorraine, qui conservoit son rang de petite-fille de France. Il n’y en devoit pas avoir non plus pour M. de Lorraine. Ses pères, ducs de Lorraine comme lui, ont été bien des fois à la cour de France sans difficultés.

Charles Ier, duc de Lorraine, fut fait connétable de France après la mort ou plutôt le massacre du connétable d’Armagnac, le 12 juin 1418, dans Paris, par le parti de Bourgogne.