Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/376

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Mme de Navailles est la dernière femme à qui j’ai vu conserver le bandeau qu’autrefois les veuves portoient toute leur vie. Il n’avoit rien de commun avec le deuil, qui ne se portoit que deux ans ; aussi ne le porta-t-elle pas davantage, mais toujours ce petit bandeau qui finissoit en pointe vers le milieu du front. Quand elle venoit à Versailles, c’étoit toujours avec une considération marquée de toute la cour, tant la vertu se fait respecter, et le roi lui faisoit toujours quelque honnêteté, mais froide. Il n’y auroit qu’à la louer s’il n’y avoit pas mille contes plus étranges et plus plaisants les uns que les autres de son avarice, trop nombreux à rapporter. M. de Navailles ne laissa que trois filles. Il avoit marié la seconde à Rothelin qui fut tué à….[1], et qui a laissé des enfants. Pompadour épousa par amour la troisième, dont il n’a eu que Mme de Courcillon ; et l’aînée, depuis la mort du père, fut la troisième femme de M. d’Elbœuf, dont elle eut Mme de Mantoue. Tout cela avant ce dernier mariage logeoit à l’hôtel de Navailles, où faute de pavé on s’embourboit dans la cour, quoique Mme de Navailles fût fort comptée et visitée. Ses gens mouroient de faim et ses filles aussi, dont l’aînée, qui se mêloit tant, qu’elle pouvoit de la dépense, grappilloit dessus pour se donner un morceau en cachette avec ses sœurs quand leur mère étoit couchée. M. et Mme de Navailles étoient extrêmement des amis de mon père.

Un bon homme, mais fort ridicule, mourut en même temps. Ce fut un M. Lavocat, maître des requêtes, frère de Mme de Pomponne et de Mme de Vins, qui avoit des bénéfices et beaucoup de bien, qui alloit partout, qui avoit eu toute sa vie la folie du beau monde, et de ne rien faire qu’être amoureux des plus belles et des plus hautes huppées, qui riaient de ses soupirs et lui faisoient des tours horribles.

  1. Henri d’Orléans, marquis de Rothe1in guidon des gens d’armes du roi, mourut le 19 septembre 1691 des suites des blessures qu’il avait reçues au combat de Leuze.