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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/437

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que, depuis qu’il avoit pris le collet de l’Oratoire, il n’avoit cessé d’y être l’espion des jésuites.

Cet honnête homme, revenu dans sa chambre, jette les yeux sur sa table, et la voit fort déchargée de papiers : il la visite, et voit ce qui lui manque. Le voilà éperdu. Il cherche partout dans un reste de désir, plutôt que d’incertitude, de les avoir déplacés lui-même, mais la recherche n’est pas achevée que ces mêmes supérieurs viennent lui en ôter la peine. La fureur d’être découvert succéda à l’inquiétude : il fit son paquet, se retira et allongea dès le lendemain son collet. Désespéré, il va au P. de La Chaise lui demander une abbaye, et lui exposer l’accablement de son état. Un espion, devenu inutile, ne porte pas grand mérite avec soi. La découverte qui le déshonoroit retomboit à plomb sur les jésuites, qui ne furent pas pressés de récompenser son imprudence. Outré de désespoir, de honte, de faim, et d’une attente de bénéfice qui devenoit un surcroît de douleur, il fut se jeter à la Trappe. Les vues qui l’y portèrent n’étoient pas droites, aussi n’eurent-elles aucunes bénédictions : en peu de jours sa vocation se trouva desséchée. Il s’en alla à l’abbaye de Perseigne ; il en loua le logis abbatial, et y demeura quelques mois. Il y eut cent prises avec les moines. Leur jardin n’étoit séparé du sien que par une forte haie. Les poules des moines la franchissoient ; il s’en prit aux moines, tant qu’un jour il attrapa le plus de leurs poules qu’il put, leur coupa le bec et les ergots avec un couperet, et les jeta aux moines pardessus la haie. Cette cruauté est si marquée, que je l’ai voulu rapporter. Une retraite si hargneuse, et dont Dieu n’étoit pas l’objet, ne put durer.

Il retourna à Paris faire un dernier effort pour avoir de quoi vivre en récompense de son crime. Il n’en put venir à bout. De rage et de faim il passa en Hollande, se fit protestant, et se mit à vivre de sa plume. Elle le fit bientôt connoître. Sa qualité de prosélyte, quoique pour l’ordinaire méprisée dans ces pays-là, et avec grande raison, se trouva