Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/443

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sur ses affaires. Il lui avoit beaucoup donné, en sorte que, outre les pensions, les pierreries belles et en grand nombre, les joyaux et les meubles, elle était devenue riche. En cet état elle s’ennuya de la gêne où elle se trouvoit, et médita une retraite. Pour la faciliter, elle pressa le chevalier de Luynes, son frère, qui servoit dans la marine avec distinction, de l’aller voir. Pendant son séjour à Turin, ils concertèrent leur fuite, et l’exécutèrent après avoir mis à couvert et en sûreté tout ce qu’elle put.

Ils prirent leur temps que M. de Savoie étoit allé, vers le 15 octobre, faire un tour à Chambéry, et sortirent furtivement de ses États avant qu’il en eût le moindre soupçon, et sans qu’elle lui eût même laissé une lettre. Il le manda ainsi à Vernon, son ambassadeur ici, en homme extrêmement piqué. Elle arriva sur notre frontière avec son frère, puis à Paris, où elle se mit d’abord dans un couvent. La famille de son mari ni la sienne n’en surent rien que par l’événement. Après avoir été reine en Piémont pendant douze ou quinze ans, elle se trouva ici une fort petite particulière. M. et Mme de Chevreuse ne la voulurent point voir d’abord. Gagnés ensuite par tout ce qu’elle fit de démarches auprès d’eux, et par les gens de bien qui leur firent un scrupule de ne pas tendre la main à une personne qui se retire du désordre et du scandale, ils consentirent à la voir. Peu à peu d’autres la virent, et quand elle se fut un peu ancrée, elle prit une maison, y fit bonne chère, et comme elle avoit beaucoup d’esprit de famille et d’usage du monde, elle s’en attira bientôt, et peu à peu elle reprit les airs de supériorité auxquels elle étoit si accoutumée, et à force d’esprit, de ménagements et de politesse, elle y accoutuma le monde. Son opulence dans la suite lui fit une cour de ses plus proches et de leurs amis, et de là elle saisit si bien les conjonctures qu’elle s’en fit une presque générale, et influa beaucoup dans le gouvernement, mais ce temps passe celui de mes Mémoires. Elle laissa ’t Turin un fils fort bien fait,