Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du père et du fils, qu’ils eurent toujours le bon esprit de cacher sous le dernier secret.

À la mort de M. Colbert, MM. Le Tellier et de Louvois, qui savoient ce que leur avoit coûté un habile contrôleur général leur ennemi, mirent tout leur crédit à faire donner cette place à Pelletier qui la craignit plus qu’il n’en eut de joie. Il y fut parfaitement reconnoissant pour ses bienfaiteurs. Après leur mort, il continua d’être l’arbitre des affaires de leur famille, à laquelle il demeura parfaitement attaché, et vécut toujours avec M. de Barbezieux dans une sorte de dépendance.

C’étoit un homme fort sage et fort modéré, fort doux et obligeant, très-modeste et d’une conscience timorée ; d’ailleurs fort pédant et fort court de génie. Il y a un mot du premier maréchal de Villeroy sur lui admirable. Il donnoit un matin petite direction chez lui ; tout ce qui la devoit composer était arrivé, et on attendoit M. Pelletier qui étoit contrôleur général. Enfin, las d’attendre, le maréchal envoya chez lui, et à Versailles où ils étoient, il n’y avoit pas loin. On vint dire au maréchal de Villeroy qu’apparemment M. Pelletier avoit oublié la petite direction[1], et qu’il étoit allé courre le lièvre.

« Par…. répondit le maréchal en colère, avec son ton de fausset, nous avons vu M. Colbert qui n’en couroit pas tant et qui en prenoit davantage. » On rit et on commença la petite direction. Lorsque ce contrôleur général vit venir la guerre de 1688, la confiance intime qui étoit entre M. de Louvois et lui en fit prévoir toutes les suites. C’étoit à lui à en porter tous le poids par les fonds extraordinaires, et ce poids l’épouvanta tellement, qu’il ne cessa d’importuner le roi jusqu’à ce qu’il lui permit de quitter sa place de contrôleur général.

Outre que ce n’étoit pas le compte de M. de Louvois, qui avoit repris alors le premier crédit, le roi y eut une grande peine. Il aimoit et il estimoit

  1. Voy. sur le conseil de finances appelé petite direction, la note à la fin du t. Ier, p. 445 et 446.