Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/82

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sa place, auprès et en arrière de Mme la duchesse de Bourgogne.

À quelque temps de là, le même Sainctot en fit bien une autre. Heemskerke, ambassadeur de Hollande, avoit amené sa femme et sa fille. Sa femme eut son audience publique de Mme la duchesse de Bourgogne, assise au milieu du cercle, à la droite de la duchesse du Lude, chacune sur leur tabouret, comme c’est l’usage. En arrivant, reçue en dedans de la porte par la dame d’honneur, elle la mena par la main à Mme la duchesse de Bourgogne, à qui elle baisa le bas de la robe, et dont tout de suite elle fut baisée, comme cela est de droit pour toutes les femmes titrées. En même temps, elle présenta sa fille, qui l’avoit suivie avec Sainctot, dont c’est la charge. La fille baisa le bas de la robe, et tout aussitôt se présenta pour être baisée. Mme la duchesse de Bourgogne étonnée hésite, la duchesse du Lude fait signe de la tête que non ; Sainctot n’en fait pas à deux fois, et hardiment pousse la fille de la main, et dit à Mme la duchesse de Bourgogne : « Baisez, Madame, cela est dû. » À cela (et le tout fut fait en un tour de main), Mme la duchesse de Bourgogne, jeune, toute neuve, embarrassée de faire un affront, eut plus tôt fait de déférer à Sainctot, et sur sa périlleuse parole la baisa. Tout le cercle en murmura tout haut, et femmes assises, et dames debout, et courtisans. Le roi, qui survient toujours à ces sortes d’audiences pour faire l’honneur à l’ambassadrice de la saluer et ne la recevoir point chez lui, n’en sut rien dans cette foule. Au partir de là, l’ambassadrice alla chez Madame. Même cérémonie et même entreprise pour la fille. Madame, qui en avoit reçu tant et plus en sa vie, voyant la fille approcher son minois, se recula très-brusquement. Sainctot lui dit que Mme la duchesse de Bourgogne lui venoit de faire l’honneur de la baiser. « Tant pis ! répondit Madame fort haut, c’est une sottise que vous lui avez fait faire, que je ne suivrai pas. » Cela fit grand bruit ; le roi ne tarda pas