Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/149

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nu vis-à-vis ses beaux-frères comblés de charges, de gouvernements, d’établissements et de rangs sans raison, sans politique et sans exemple ; que son fils étoit de pire condition que tout ce qu’il y avoit de gens en France de son âge qui servoient et à qui on donnoit des grades bien loin de les en empêcher ; que l’oisiveté étoit la mère de tout vice ; qu’il lui étoit bien douloureux de voir son fils unique s’abandonner à la débauche, à la mauvaise compagnie et aux folies, mais qu’il lui étoit cruel de ne s’en pouvoir prendre à une jeune cervelle justement dépitée, et de n’en pouvoir accuser que celui qui l’y précipitoit par ses refus. Qui fut bien étonné de ce langage si clair ? ce fut le roi. Jamais il n’étoit arrivé à Monsieur de s’échapper avec lui à mille lieues près de ce ton, qui étoit d’autant plus fâcheux qu’il étoit appuyé de raisons sans réplique, auxquelles toutefois le roi ne vouloit pas céder. Dans la surprise de cet embarras, il fut assez maître de soi pour répondre, non en roi, mais en frère. Il dit à Monsieur qu’il pardonnoit tout à la tendresse paternelle.

Il le caressa, il fit tout ce qu’il put pour le ramener par la douceur et l’amitié.

Mais le point fatal étoit ce service pour le but du commandement en chef que Monsieur vouloit, et que le roi par cette raison même ne vouloit pas ; raison qu’ils ne se disoient point l’un à l’autre, mais que tous deux comprenoient trop bien l’un de l’autre. Cette forte conversation fut longue et poussée, Monsieur toujours sur le haut ton et le roi toujours au rabais. Ils se séparèrent de la sorte, Monsieur outré, mais n’osant éclater, et le roi très piqué, mais ne voulant pas étranger Monsieur, et moins encore que leur brouillerie pût être aperçue.

Saint-Cloud, ou Monsieur passoit les étés en grande partie, et où il alla plus tôt qu’à son ordinaire, les mit à l’aise en attendant un raccommodement, et Monsieur, qui vint depuis voir le roi et quelquefois dîner avec lui, y vint plus rarement qu’il n’avoit accoutumé, et leurs moments de tête-à-tête