Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/155

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chapitre il ordonneroit de passer outre à l’admission en attendant les preuves ; qu’il seroit reçu tout de suite, et que de preuves après il ne s’en parleroit jamais. Le roi eut la bonté de lui représenter l’intérêt de sa famille, aux dépens de laquelle il ne devoit pas faire une action, belle pour lui, mais qui la noteroit pour toujours, et d’ajouter qu’il désiroit qu’il acceptât et qu’il prenoit tout sur lui. Si quelque chose peut flatter et tenter au delà des forces, il faut convenir que c’est une lettre aussi complète ; mais rien ne put ébranler l’humble attachement de ce prélat aux règles et à la vérité. Après s’être répandu comme il devoit en actions de grâces, il répondit qu’il ne pouvoit mentir, ni par conséquent fournir de preuves ; qu’il ne pouvoit aussi se résoudre à être cause que, par un excès de bonté, le roi manquât au serment qu’il avoit fait à son sacre de maintenir l’ordre et ses statuts ; que celui qui obligeoit aux preuves étoit de ceux dont le souverain, grand maître, ne pouvoit dispenser, et que ce seroit lui faire violer son serment que d’être reçu sans preuves préalables, sur la certitude de les faire après, quand il savoit que sa condition lui en ôtait le moyen ; et il finit une lettre d’autant plus belle qu’il n’y avoit ni fleurs ni tours, mais de la vérité, de l’humilité et beaucoup de sentiment, par supplier le roi d’en nommer un autre, et de ne point craindre d’en dire la raison, puisqu’il le falloit. Cette grande action fut universellement admirée, et ajouta encore à la considération du roi et au respect de tout le monde.

Son refus commençoit à transpirer lorsque le roi assembla un autre chapitre pour nommer M. de Metz à sa place, par amitié pour le cardinal de Coislin son oncle, qui ne s’y attendoient ni l’un ni l’autre. Le roi déclara le refus de M. de Sens, voulut bien parler de ce qu’il lui avoit offert, et fit son éloge. Il n’y eut personne dans le chapitre qui ne le louât extrêmement ; mais, sans louanges, M. de Marsan fit mieux que pas un, et tint là le meilleur propos de toute sa vie :