Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/186

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toujours l’apaisant et s’excusant, entre chez Madame, et va causer comme les autres courtisans, sans la plus légère émotion. Ce qui suivit, une heure après, n’est pas de mon sujet, et n’a que trop fait de bruit par toute l’Europe.

Madame étant morte le lendemain 30 juin, à trois heures du matin, le roi fut pénétré de la plus grande douleur. Apparemment que dans la journée il eut des indices, et que ce garçon de chambre ne se tut pas, et qu’il y eut notion que Purnon, premier maître d’hôtel de Madame, étoit dans le secret, par la confidence intime où, dans son bas étage, il étoit avec d’Effiat. Le roi couché, il se relève, envoie chercher Brissac, qui dès lors étoit dans ses gardes et fort sous sa main, lui commande de choisir six gardes du corps bien sûrs et secrets, d’aller enlever le compagnon, et de le lui amener dans ses cabinets par les derrières. Cela fut exécuté avant le matin. Dès que le roi l’aperçut, il fit retirer Brissac et son premier valet de chambre, et prenant un visage et un ton à faire la plus grande terreur : « Mon ami, lui dit-il en le regardant depuis les pieds jusqu’à la tête, écoutez-moi bien : si vous m’avouez tout, et que vous me répondiez vérité sur ce que je veux savoir de vous, quoi que vous ayez fait, je vous pardonne, et il n’en sera jamais mention. Mais prenez garde à ne me pas déguiser la moindre chose, car si vous le faites, vous êtes mort avant de sortir d’ici. Madame n’a-t-elle pas été empoisonnée ? — Oui, sire, lui répondit-il. — Et qui l’a empoisonnée, dit le roi, et comment l’a-t-on fait ?  » Il répondit que c’étoit le chevalier de Lorraine qui avoit envoyé le poison à Beuvron et à d’Effiat, et lui conta ce que je viens d’écrire. Alors, le roi redoublant d’assurance de grâce et de menace de mort : « Et mon frère, dit le roi, le savoit-il ? — Non, sire, aucun de nous trois n’étoit assez sot pour le lui dire : il n’a point de secret ; il nous auroit perdus. » À cette réponse, le roi fit un grand ha ! comme un homme oppressé, et qui tout d’un coup respire.

« Voilà, dit-il, tout ce que je voulois savoir.