Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/204

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Catinat s’en plaignoit souvent ; il le mandoit à la cour, mais sans oser conclure. Il n’y étoit soutenu de personne, et Vaudemont y avoit tout pour lui.

Il captoit nos officiers généraux par une politesse, une magnificence, et surtout par d’abondantes subsistances ; tout l’utile, tout l’agréable venoit de son côté ; tout le sec, toute l’exactitude venoit du maréchal. Il ne faut pas demander qui des deux avoit les volontés et les cœurs. L’état de Vaudemont, qui ne pouvoit se soutenir, ni guère se tenir à cheval, et les prétextes d’être à Milan ou ailleurs à donner des ordres, le délivroient de beaucoup de cas embarrassants vis-à-vis d’un général aussi éclairé que Catinat, et par des subalternes affidés de ses troupes les avis mouchoient à Commercy et à son fils. Avec de si cruelles entraves, Tessé, qui, bien qu’à son grand regret roulant avec les lieutenants généraux, étoit pourtant dans l’armée avec une distinction fort soutenue, et qui avoit dès l’arrivée de Catinat rompu lance contre lui, excitoit les plaintes de tous les contretemps qui ne cessoient point, et finement appuyé de Vaudemont bandoit tout contre lui, et mandoit à la cour tout ce qu’il croyoit pouvoir lui nuire davantage. Vaudemont, de concert, écrivoit des demi-mots en homme modeste qui tâte le pavé, qui ménage un général qu’il voudroit qui n’eût point de tort, et qui en fait penser cent fois davantage, et il se ménageoit là-dessus avec tant de sobriété et d’adresse qu’il s’en attiroit les reproches qu’il désiroit pour s’expliquer davantage et avoir plus de confiance. Avec tant et de telles contradictions tout était impossible à Catinat, qui voyoit de reste ce qu’il y avoit à faire, et qui ne pouvoit venir à bout de rien.

Avec ces beaux manèges ils donnèrent le temps aux Impériaux, d’abord fort faibles et fort reculés, de grossir, d’avancer peu à peu, et de passer toutes les rivières sans obstacle, de nous approcher, et, avertis de tout comme ils l’étoient de point en point, de venir le 9 juillet attaquer Saint-Frémont logé à Carpi, entre l’Adige et le Pô, avec