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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/208

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mal augmenta à tel point qu’elle fut à l’extrémité. Elle se confessa deux fois, car en huit jours elle eut une dangereuse rechute. Le roi, Mme de Maintenon, Mgr le duc de Bourgogne étoient au désespoir et sans cesse auprès d’elle. Enfin elle revint à la vie à force d’émétique, de saignées et d’autres remèdes. Le roi voulut retourner à Versailles au temps qu’il l’avoit résolu et ce fut avec toutes les peines du monde que les médecins de Mme de Maintenon l’arrêtèrent encore huit jours, au bout desquels il fallut partir. Mme la duchesse de Bourgogne fut longtemps si foible qu’elle se couchoit les après-dînées, où ses dames et quelques privilégiées faisoient un jeu pour l’amuser. Bientôt il s’y en glissa d’autres, et incontinent après toutes celles qui avoient de l’argent pour grossir le jeu. Mais pas un homme n’y entra que les grandes entrées[1] avec le roi, qui y alloit le matin et les après-dînées pendant ce jeu, en sortant ou rentrant de la chasse ou de la promenade.

M. de Lauzun, à qui, à son retour en ramenant la reine d’Angleterre, les grandes entrées avoient été rendues, et qui alors les avoit seul sans charge qui les donne, suivit un jour le roi chez Mme la duchesse de Bourgogne. Un huissier ignorant et fort étourdi le fut tirer par la manche et lui dit de sortir.

Le feu lui monta au visage, mais, peu sur du roi, il ne répondit rien et s’en alla. Le duc de Noailles, qui par hasard avoit le bâton ce jour-là, s’en aperçut le premier et le dit au roi, qui malignement ne fit qu’en rire et eut encore le temps de se divertir à voir Lauzun passer la porte. Le roi se permettoit rarement les malices, mais il y avoit des gens pour lesquels il y succomboit, et M. de Lauzun, qu’il avoit toujours craint et jamais aimé depuis son retour, en étoit

  1. On appelait les grandes entrées les seigneurs qui avaient droit d’entrer chez le roi dès qu’il était éveillé et d’assister à sa toilette. Le grand chambellan, les premiers gentilshonilneô de la chambre du roi, et, en général, les officiers attachés à la chambre et à la garde-robe du roi avaient de droit les grandes entrées. Pour les autres seigneurs il fallait un brevet spécial.