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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/218

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tout voyoit clair, se lassa d’aviser un homme qui de dépit n’en faisoit aucun usage, et qui se plaisoit à mander à la cour tout le contraire de Phélypeaux, qui s’aperçut bientôt de la perfidie de M. de Savoie, et dont les avis furent détruits par les lettres du maréchal de Villeroy, dont la faveur prévalut à toutes les lumières de l’autre.

Ainsi s’écoula la campagne, nous toujours reculant, et les Impériaux avançant avec tant de facilité et d’audace, et leurs troupes grossissant, tandis que les nôtres diminuoient tous les jours par un détail journalier de petites pertes et par les maladies, qu’on en vint à craindre le siège de Milan, c’est-à-dire du château, auquel néanmoins le prince Eugène ne songea jamais sérieusement. Lui et le maréchal de Villeroy prirent leur quartier d’hiver chacun de leur côté, et le passèrent sur la frontière. M. de Savoie se retira à Turin, et Catinat s’en alla à Paris. Le roi le reçut honnêtement, mais il ne lui parla que des chemins et de son voyage, et ne le vit point en particulier ; lui aussi ne se mit en aucun soin d’en obtenir une audience.

En Flandre on ne fit que se regarder sans hostilités, qui fut une grande faute, sortie toujours de ce même principe de ne vouloir pas être l’agresseur, c’est-à- dire de laisser bien arranger, dresser et organiser ses ennemis, et attendre leur bon point, et aisément, et leur signal pour entrer en guerre qu’on ne doutoit plus qu’ils ne nous voulussent faire. Si, au lieu de cette fausse et pernicieuse politique, l’armée du roi eût agi, elle auroit pénétré les Pays-Bas où rien n’étoit prêt ni en état de résistance, eût fait crier miséricorde aux Hollandois au milieu de leur pays, les eût mis hors d’état de soutenir la guerre, déconcerté cette grande alliance dont leur bourse fut l’âme et le soutien, mis l’empereur hors d’état de pousser la guerre faute d’argent, et avec les princes du Rhin et M. de Bavière alliés avec la Souabe et ces cercles leurs voisins pour leur tranquillité et leur neutralité, l’empire n’auroit pas pris forcément, comme il fit,