Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/230

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l’autorité de leur personne, soit mérite, soit grandes alliances, soit grands biens, que par la dignité de ces biens mêmes. Le nom de grand étoit inconnu dans les Espagnes, celui de ricos-hombres passoit pour la seule grande distinction, comme qui diroit puissants hommes, et ce nom, devenu commun à tous ceux des familles des ricos-hombres, s’étoit peu à peu extrêmement multiplié. La faiblesse et le besoin des rois les obligeoit à souffrir cet abus dans les cadets subdivisés de ces ricos-hombres, ou dans des sujets dont le mérite ou les services ne permettoient pas de leur refuser un titre que l’exemple de ces cadets avoit détaché de la possession des fiefs immédiats, enfin aux premières charges de leur maison ; ce qui a peut-être donné la première idée, dans la suite, de la distinction des trois classes des grands que nous y voyons aujourd’hui.

Soit que l’usage de parler couvert aux rois pour les gens d’une certaine qualité fût de tout temps établi dans les Espagnes, comme il l’étoit constamment dans notre France d’être couvert devant eux jusqu’au milieu pour le moins des règnes de la branche des Valois ; soit que cet honneur, d’abord réservé aux premiers vassaux pères de famille, eût peu à peu été communiqué à leurs cadets et aux enfants des cadets avec leurs armes si souvent chargées de bannières et de chaudières en Espagne, pour marque de leur ancien droit, et qui ont passé avec les filles dans des familles étrangères à ces premiers ricos-hombres à l’infini, qui écartelèrent[1] ces armes, et souvent les prirent pleines ; il est certain qu’il y avoit un grand nombre de ces ricos-hombres dans les Espagnes, et qui, avec le nom, jouissoient de cet honneur de parler couverts au roi, par droit, par abus, ou par la nécessité de s’attacher les familles puissantes et d’éviter les mécontentements, lorsqu’y parurent les rois catholiques.

  1. On appelle écarteler, en terme de blason, partager un écu en quatre et mettre dans deux divisions ses propres armes et dans les deux autres les armes de la famille à laquelle on veut se rattacher.