Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/75

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dernier point fort aisément. M. de Beauvilliers avoit souvent entretenu le roi d’Espagne tête à tête pendant le voyage. Il y eut pendant le séjour de Bayonne, des conférences où le duc d’Harcourt fut presque toujours en tiers, et quelquefois le duc de Noailles avec eux. Ils allèrent à Saint-Jean de Luz, et le 22 janvier se fit la séparation des princes avec des larmes qui allèrent jusqu’aux cris.

Après quantité d’embrassades réitérées au bord de la Bidassoa, au même endroit des fameuses conférences de la paix des Pyrénées, le duc de Noailles emmena le roi d’Espagne d’un côté, et le duc de Beauvilliers les deux autres princes de l’autre, avec lesquels il remonta en carrosse, et retournèrent à Saint-Jean de Luz. Il y avoit un pont et de très jolies barques galamment ajustées par ceux du pays. Le roi d’Espagne passa dans une avec le duc d’Harcourt, le marquis de Quintana, gentilhomme de la chambre, et le comte d’Ayen. La petite rivière qui sépare les deux royaumes étoit bordée d’un peuple innombrable à perte de vue des deux côtés. Les acclamations ne finissoient point et redoubloient à tous moments. Au sortir de la barque le roi d’Espagne marcha un peu à pied, pour contenter la curiosité de ses peuples, et alla coucher à Irun. Il fut d’abord à l’église, où le Te Deum fut chanté. Et, dès le même soir, il commença à être servi et à vivre à l’espagnole. Il fut visiter le lendemain Fontarabie, puis Saint-Sébastien, et continua son voyage à Madrid, ayant toujours le duc d’Harcourt dans son carrosse, un ou deux de ses officiers principaux espagnols et le comte d’Ayen. Ce dernier fut trouvé là fort mauvais, l’entrée du carrosse du roi n’étant que pour ses officiers les plus principaux. Ce neveu de Mme de Maintenon, à qui d’Harcourt faisoit sa cour, avoit une nombreuse suite et une musique complète, dont il tâchoit les soirs d’amuser le roi d’Espagne. Son âge, sa faveur en France, l’imitation des airs libres et familiers et des grands rires de sa mère, montrèrent à l’Espagne un fort jeune homme, bien gâté, et qui