Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/35

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filles de ces lieux et du commerce de leur vie et de leurs galants qu’il poussa publiquement jusqu’à sa dernière vieillesse, déshonorée publiquement par ses honteux propos.

Son ignorance, et s’il en faut dire le mot, son ineptie en affaires, était inconcevable dans un homme qui y fut si grandement et si longtemps employé ; il s’égaroit et ne se retrouvoit plus ; la conception manquoit, il y disoit tout le contraire de ce qu’on voyoit qu’il vouloit dire. J’en suis demeuré souvent dans le plus profond étonnement et obligé à le remettre et à parler pour lui plusieurs fois, depuis que je fus avec lui dans les affaires pendant la régence ; aucune, tant qu’il lui étoit possible, ne le détournoit du jeu, qu’il aimoit parce qu’il y avoit toujours été heureux et y avoit gagné très gros, ni des spectacles. Il n’étoit occupé que de se maintenir en autorité et laisser faire tout ce qu’il auroit dû faire ou voir lui-même. Un tel homme n’étoit guère aimable, aussi n’eut-il jamais ni amis ni créatures, et jamais homme ne séjourna dans de si grands emplois avec moins de considération.

Le nom qu’un infatigable bonheur lui a acquis pour des temps à venir m’a souvent dégoûté de l’histoire, et j’ai trouvé une infinité de gens dans cette même réflexion. Les siens ont eu l’imprudence de laisser paroître fort tôt après lui des Mémoires qu’on ne peut méconnoître de lui ; il n’y a qu’à voir sa lettre au roi sur sa bataille de Friedlingen. Un récit embarrassé, mal écrit, sans exactitude, sans précision, expressément confus, voile tant qu’il peut le désordre qui pensa perdre son infanterie ; son ignorance de ce que fit sa cavalerie ; ne peint ni la situation, ni les mouvements, ni l’action, encore moins ce qui en fit la décision et la fin ; et ses louanges générales et universelles, qui ne louent personne en ne marquant rien de particulier de personne, données au besoin qu’il se sentoit de tous ; n’en peuvent flatter aucun. Ses Mémoires ont la même confusion, et s’ils ont plus de détail, c’est pour faire plus de mensonges dont