Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/36

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il se donne sans cesse pour le héros.

J’étois bien jeune, et seulement mestre de camp d’un régiment de cavalerie en 1594 et les années suivantes ; mais à la première, j’étois gendre du général de l’armée, et les autres dans la plus intime confiance du maréchal de Choiseul, qui succéda à mon beau-père. C’en est assez pour avoir très distinctement vu que les vanteries de ses Mémoires sur ces campagnes-là n’ont pas seulement la moindre apparence, et que tout ce qu’il y dit de lui est un roman. J’ai su des officiers principaux qui ont servi avec lui et sous lui dans les autres campagnes qu’il raconte, que tout y est mensonge, la plupart des faits entièrement controuvés, ou avec un fondement dont tout le reste est ajusté à ses louanges, et au blâme de ceux qui y ont le plus mérité pour leur dérober le mérite et se l’approprier. Il s’y trouve même des traits dont la hardiesse pue tellement la fausseté, qu’on est indigné de l’audace pour soimême et que le héros prétendu ait osé espérer de se faire si grossièrement des dupes et des admirateurs. La soif d’en avoir l’a rendu coupable des plus noirs larcins de la gloire des maîtres, devant qui je l’ai vu ramper, et des calomnies les plus audacieuses et les plus follement hasardées.

À l’égard de ses négociations en Bavière et à Vienne, qu’il y décrit avec de si belles couleurs, j’en ai demandé des nouvelles à M. de Torcy, à qui lors il en rendoit compte, et sur les ordres et les instructions duquel il avoit uniquement à se régler. Torcy m’a protesté qu’il en avoit admiré le roman, que tout y est mensonge, et qu’aucun fait et aucun mot n’en est véritable ; il étoit lors ministre et secrétaire d’État des affaires étrangères, par qui elles passoient toutes, et le seul qui se fût préservé de partager, ou plutôt de soumettre son département à Mme de Maintenon. Sa droiture, sa probité, sa vérité n’ont jamais été douteuses en France ni dans les pays étrangers, et sa mémoire toujours exacte et nette.

Telle a été la vanité de Villars d’avoir voulu être un héros