Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/139

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les sots le trouvoient un homme simple. Il étoit plein de chiens et de chiennes dans son lit qui y faisoient leurs petits à ses côtés. Lui-même ne s’y contraignoit de rien. Une de ses thèses étoit que tout le monde en usait de même, mais n’avoit pas la bonne foi d’en convenir comme lui. Il le soutint un jour à Mme la princesse de Conti, la plus propre personne du monde et la plus recherchée dans sa propreté.

Il se levoit assez tard à l’armée, se mettoit sur sa chaise percée, y faisoit ses lettres, et y donnoit ses ordres du matin. Qui avoit affaire à lui, c’est-à-dire pour les officiers généraux et les gens distingués, c’étoit le temps de lui parler. Il avoit accoutumé l’armée à cette infamie. Là, il déjeunoit à fond, et souvent avec deux ou trois familiers, rendoit d’autant, soit en mangeant, soit en écoutant ou en donnant ses ordres, et toujours force spectateurs debout. (Il faut passer ces honteux détails pour le bien connoître.) Il rendoit beaucoup ; quand le bassin étoit plein à répandre, on le tiroit et on le passoit sous le nez de toute la compagnie pour l’aller vider, et souvent plus d’une fois. Les jours de barbe, le même bassin dans lequel il venoit de se soulager servoit à lui faire la barbe. C’étoit une simplicité de mœurs, selon lui, digne des premiers Romains, et qui condamnoit tout le faste et le superflu des autres. Tout cela fini, il s’habilloit, puis jouoit gros jeu au piquet ou à l’hombre, ou s’il falloit absolument monter à cheval pour quelque chose, c’en étoit le temps. L’ordre donné au retour, tout étoit fini chez lui. Il soupoit avec ses familiers largement ; il étoit grand mangeur, d’une gourmandise extraordinaire, ne se connoissoit à aucun mets, aimoit fort le poisson, et mieux le passé et souvent le puant que le bon. La table se prolongeoit en thèses, en disputes, et par-dessus tout, louanges, éloges, hommages toute la journée et de toutes parts.

Il n’auroit pardonné le moindre blâme à personne. Il vouloit passer pour le premier capitaine de son siècle, et parloit