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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/16

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l'étoit, mais d’éviter surtout de rompre le fil en le tirant par trop, et de ne plus songer à ce pays-ci que comme au fondement de son règne en Espagne. Nous verrons bientôt qu’elle sut mettre un si bon conseil à profit, et au profit encore de ceux qui le lui donnèrent. À la façon dont j’étois avec elle je sentis toutes ces époques : l’extrême désir en arrivant de retourner en Espagne, l’ivresse qui le balança, enfin la dernière résolution prise. J’écumai bien aussi quelque chose de ces détails, mais pour leur précision, telle que je la raconte ici, je ne l’ai bien sue que depuis.

Il se passoit cependant bien des choses en Espagne. Maulevrier, dans la plus intime confiance de la reine sur ce qui regardoit le retour et les avantages de Mme des Ursins, et seul à Madrid de sa sorte, qui y fut par l’absence de Tessé sur la frontière, profitoit merveilleusement des instructions utiles de conduite qu’il avoit données à la reine par ses connoissances si exactes de l’intérieur de notre cour, par les entrées que la reine lui avoit fait donner ; il entroit chez elle à toute heure par l’appartement du roi, comme je crois l’avoir déjà dit. Il passoit des heures entières entre le roi et elle, et fort souvent tête à tête avec elle. La duchesse de Montellano n’étoit pas une femme à contraindre, et de plus le roi le savoit et le trouvoit bon. Maulevrier voyoit les lettres qu’ils recevoient. Il en faisoit et leur en dictoit les réponses, et par cette confiance entroit d’ailleurs autant qu’il le pouvoit dans la leur sur toutes les autres affaires. Son esprit, son instruction, le succès de ses conseils sur ce qui regardoit la princesse des Ursins, avoient infiniment augmenté la croyance que le roi et la reine avoient prise en lui. On a voulu dire qu’il avoit voulu plaire aux yeux de la reine et qu’il y avoit réussi. Il est vrai que ces particuliers, si longs, si journaliers, si continuels, donnèrent fort à penser et même à parler. Il étoit temps de moissonner après avoir si heureusement semé. Le compagnon ne songea pas à moins qu’à la grandesse, et l’obtint. Mais il étoit trop vain