Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/17

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pour n’être pas indiscret, comme on en a vu ici des traits que j’ai rapportés.

Le duc de Grammont en eut le vent. Il n’en avoit eu que des mépris, comme un homme qu’on veut chasser et qu’un nouveau favori ne ménage guère. Il se hâta d’avertir le roi et les ministres du bruit que commençoit à faire la conduite audacieuse de Maulevrier avec la reine, qui offensoit tous les Espagnols, et que sûrement il alloit être déclaré grand d’Espagne. La jalousie, en effet, de toute la cour et ses murmures alarmèrent Tessé, qui les apprit sur les frontières. Il en craignit l’effet aux deux cours, et plus encore en celle de France ; il manda son gendre devant Gibraltar où il étoit, qui fut obligé de partir sur-le-champ de Madrid pour l’y aller trouver. En même temps, arriva un courrier de Torcy avec des lettres du roi très-fortes au roi d’Espagne sur Maulevrier, et une de Torcy à celui-ci, qui lui mandoit que le roi lui défendoit très-expressément d’accepter la grandesse ni aucune autre grâce du roi d’Espagne, et lui ordonnoit d’aller sur-le-champ joindre Tessé, avec une réprimande très-sévère, non d’un cousin germain, mais d’un ministre offensé de ses manèges, de ses intrigues et du parti qu’il avoit pris. Le courrier fit remettre au roi d’Espagne les dépêches du roi, et courut après Maulevrier à Gibraltar lui porter les siennes. Ce fut un étrange coup pour cet ambitieux qui, ayant si bien conduit sa trame, et réussi pour autrui, se trouvoit privé de la récompense qu’il tenoit déjà. La rage et le dépit cédèrent aux espérances qu’il se forgea de venir à bout pour soi de Versailles par Madrid. Son beau-père ne put le retenir au siège comme il l’auroit voulu. Ses représentations et son autorité furent inutiles.

Maulevrier, après un court séjour devant Gibraltar, retourna à Madrid, sous prétexte d’y aller rendre compte de l’état du siège ; mais en effet pour tout tenter auprès du roi et de la reine d’Espagne, pour, par eux, forcer la main au